La Vierge au Concile
Un cadre marial entoure le
Concile. En réalité, il s'agit de beaucoup plus qu'un cadre: c'est une
orientation de tout son chemin. Il nous renvoie, comme il renvoyait alors les
Pères du Concile, à l'image de la Vierge à l'écoute, qui vit dans la Parole de
Dieu, qui conserve dans son coeur les paroles qui viennent de Dieu et, les
rassemblant comme dans une mosaïque, apprend à les comprendre (cf. Lc 2,
19.51); il nous renvoie à la grande Croyante qui, pleine de confiance, se remet
entre les mains de Dieu, s'abandonnant à sa volonté; il nous renvoie à l'humble
Mère qui, lorsque la mission de son Fils l'exige, s'efface et, dans le même
temps, à la femme courageuse qui, alors que les disciples s'enfuient, demeure
au pied de la croix. Paul VI, dans son discours à l'occasion de la promulgation
de la Constitution, conciliaire sur l'Eglise, avait qualifié Marie de "tutrix
huius Concilii" - "protectrice de ce Concile" et, à travers
une allusion au récit de la Pentecôte rapporté par Luc (Ac 1, 12-14), il
avait dit que les Pères s'étaient réunis dans la salle du Concile "cum
Maria, Matre Iesu" et que, également en son nom, ils en seraient à
présent sortis. (Benoît XVI, homélie
du 8 décembre 2005)
Le Concile est une célébration
liturgique
Avant d’aborder le chapitre VIII de Lumen Gentium, cette grande synthèse mariale proclamée au Concile, il faut se souvenir qu’un concile n’est pas qu’une masse, même épaisse, de documents, ni une série d’écrits plus ou moins rébarbatifs, mais avant tout une célébration liturgique. Avant le message il y a l’évènement du Concile qui est lui-même un message. Quand le Pape Jean XXIII a publié la Bulle d’indiction du Concile, le 25 décembre 1961 il énonça : « Nous annonçons, décrétons et convoquons pour l’année prochaine 1962 le deuxième Concile œcuménique du Vatican qui sera célébré dans la Basilique Saint-Pierre, au jour que Dieu voudra »[1]
Un concile n’est donc pas un débat parlementaire ou une joute de parti rivaux. C’est avant tout une célébration. Cet aspect liturgique du Concile, très essentiel, a été assez largement masqué par des chroniques journalistiques soucieuses de rapporter les luttes intestines, les crises, les anecdotes. Il est toujours possible de porter sur l’Eglise, puisqu’elle est composée d’hommes, un regard socio-politique et de voir les choses par le petit bout de la lorgnette. Mais il faut compléter ce point de vue par le regard de la foi qui nous apprend à discerner derrière les transactions humaines la divine Providence qui accomplit son œuvre. Ainsi au Concile Vatican II les évêques se réunirent-ils dans l’Esprit Saint pour célébrer le Dieu vivant et l’Unique Seigneur, Pasteur éternel de son peuple.
Une Nouvelle Pentecôte
On a d’ailleurs parlé du Concile Vatican II comme d’une « Nouvelle Pentecôte ». Les Pères conciliaires dans leur message au monde, définissaient ainsi leur rassemblement : « Nous, successeurs de Apôtres, tous unis dans la prière avec Marie, la Mère de Jésus, nous formons un seul Corps apostolique »[2]. La référence au récit de la Pentecôte (cf Actes 1,14) est assez claire. Elle reviendra d’ailleurs dans la bouche de Paul VI lorsqu’il clôturera la 3ème session du Concile en disant : « Nous sommes entrés à l’instigation de Jean XXIII dans l’aula conciliaire avec Marie, Mère de Jésus, et nous sortons de cette même aula conciliaire – à la suite de cette 3ème session – avec Marie, Mère de l’Eglise ».
Si le Concile est une nouvelle Pentecôte on conçoit aisément que la Vierge Marie y ait dû jouer un rôle déterminant, comme à la première Pentecôte ou, non sans un dessein divin elle était présente, assidue à la prière, dans l’Eglise du cénacle. Il était donc parfaitement opportun de placer, comme le pape François le fit, la mémoire de Marie, Mère de l’Eglise, le lundi de Pentecôte[3].
En outre, un Concile n’est jamais un aérolite tombé comme cela du ciel dans un néant dogmatique ! Il s’inscrit évidement dans une tradition, et il est une étape très importante dans cette Tradition vivante. Il faut dire cela ; car très souvent, surtout pour des générations précédentes, il y a une façon de dire « le Concile » qui dénote une volonté de marquer la rupture avec ce qui a précédé.
Un Concile parmi les conciles
Ce titre j’en ai conscience est presque iconoclaste, en tous cas provocateur. Pour la plupart de ceux qui l’ont vécu Vatican II est Le concile. Il a été vécu comme une rupture (ou à tout le moins comme un commencement radical, ouvrant une nouvelle ère. Il y a évidemment beaucoup d’excès dans les réactions épidermiques de ceux qui considèrent somme toute que l’Eglise a commencé avec Vatican II. Tout comme chez ceux qui considèrent que la France a commencé avec la Révolution. Il y avait une France avant 1789, il y avait une Eglise avant 1962. Il importe de mettre en œuvre cette herméneutique de la continuité que le pape Benoît XVI ne cesse d’appeler de ses vœux[4]. Il faut montrer comment Vatican II s’inscrit dans le développement harmonieux du dogme et de la Tradition de l’Eglise. Certes le Concile Vatican II peut être dit « le concile » parce qu’il est le concile de notre temps. (…) Il est vrai que compte tenu de l’accélération de l’histoire, notre monde est déjà assez loin d’être celui du Concile Vatican II. Qu’on songe aux moyens de communication sociale qui ont tellement évolué[5], ou au contexte du marxisme et de la guerre froide qui marquèrent si sensiblement les mentalités de l’époque…. Il reste que les grands documents dogmatiques du Concile, surtout Lumen Gentium et Dei Verbum ont valeur pérenne. Non, avant le Concile tout n’était pas que barbarie de l’Eglise constantinienne. Oui, le Concile s’inscrit comme un élément de la Tradition vivante de l’Eglise et non uniquement comme rupture et dénonciation de l’antérieur.
Situation de la mariologie
avant Vatican II
Si l’on veut comprendre la place de la Vierge Marie au Concile il faut donc faire un peu d’histoire. Quelle était la situation de la mariologie avant 1962 ?
Evidemment chacun sait comment le XIXème siècle est un siècle éminemment marial, marqué en son milieu par la déclaration de 1854 sur l’Immaculée Conception. Faut-il rappeler les apparitions de la rue du Bac à Paris (1830) de La Salette(1846) de Lourdes (1858) de Pontmain (1870). Un climat d’extraordinaire ferveur mariale marque incontestablement ce siècle, surtout en France. Les confréries mariales, les couronnements liturgiques de statues de la Vierge, les conversions spectaculaires comme celle du juif Ratisbonne en 1842 ou de Claudel en 1886, la publication du Traité de la Vraie dévotion de saint Louis Marie Grignion de Monfort (1842) , la publication de somme mariale, comme la Summa aurea de Jean-Jacques Bourassé (13 volumes entre 1862 et 1866). Dans le siècle du romantisme et des révolutions. Marie est de loin le prénom féminin le plus répandu au XIXème siècle mais aussi un prénom masculin très souvent porté.
Toute cette ferveur mariale est puissamment encouragée par le Magistère. Un pape comme Léon XIII ne publie pas moins de onze encycliques sur la dévotion au saint Rosaire de 1883 à 1898 ! Au concile Vatican I (1870) un mouvement s’était dessiné en vue d’obtenir la définition solennelle du dogme de l’Assomption qui, de l’aveu de Pie IX lui-même, se présentait comme un simple corollaire de l’Immaculée Conception[6]. Environ 200 évêques, soit un tiers des Pères conciliaires avaient signé une pétition en ce sens. Mais le Concile Vatican I, pour cause de guerre, resta inachevé. Par un acte juridique purement formel, Jean XXIII devra clore Vatican I pour ouvrir Vatican II.
Pie
XII, « l’homme du Concile »
Pie XII n’a pas convoqué le Concile. Pourtant à n’en pas douter, il est le grand homme de Vatican II. La plupart des grandes avancées majeures du Concile ont été préparées par lui. Les renouveaux bibliques (Divino Afflante Spiritu 1943), liturgique ( Encyclique Mediator Dei 1947, rétablissement de la Vigile Pascale en 1951), missionnaire (encyclique Fidei Donum 1957), patristique, lui doivent beaucoup.
En 1943 paraît la grande encyclique sur l’Eglise Mystici Corporis. On y trouve déjà exprimée l’idée de l’analogie qui n’est pas sans valeur selon laquelle l’Eglise comme le Christ est « constituée d’un double élément humain et divin »[7] ou encore l’affirmation d’une Eglise sainte et toujours à purifier. Le sacerdoce commun des fidèles[8] , la notion de Peuple de Dieu , la vocation universelle à la sainteté etc…: toutes ces vérités en germe chez Pie XII seront orchestrées par le Concile.
On peut souscrire sans hésiter à cette affirmation de l’historien Pierre Pierrard : « Quand en octobre 1958 meurt Pie XII, le vieux tronc de l’Eglise a renouvelé sa sève ».
On dit beaucoup que le Concile n’est pas responsable de la crise de l’Eglise qui a commencé bien avant lui, c’est tout à fait exact. Mais pour être juste, il faut dire de même que le Concile n’est pas le seul responsable de la Réforme de l’Eglise qui a commencé bien avant lui et s’est accéléré sous Pie XII, ce vénérable Pontife dont Mendès-France pouvait dire en 1955 au retour d’une visite à Rome : «En le voyant, j’ai compris ce que pouvait être la grandeur »…
Tout comme Lumen Gentium,
l’encyclique Mystici Corporis se conclut par un épilogue sur La Vierge Marie[9]. Pie XII y parle de Celle qui « maintenant
au ciel resplendit dans la gloire de son corps et de son âme et règne
avec son Fils» ce qui annonce à la fois le dogme de l’Assomption(1950) et
l’institution de la fête de Marie Reine (1954) [10]. Il appelle aussi la Vierge « la
très sainte Mère de tous les membres du Christ » ce qui annonce le
titre de « Mère de l’Eglise » que Paul VI décernera à Marie vingt
ans plus tard(1964). On le voit, tout le programme des années futures de
la théologie mariale est esquissé dans cet épilogue de l’encyclique de 1943.
1er novembre
1950 : le dogme de l’Assomption
Mais bien évidemment le grand acte du Magistère suprême qui précède le Concile, et sans lequel celui-ci est difficilement intelligible, est la proclamation, le 1er novembre 1950, douze ans seulement avant le Concile, du dogme de l’Assomption de le Vierge-Marie[11]. Une foule considérable se massait ce jour-là sur la place Saint Pierre. Plus de 700 évêques entouraient le pape. L’événement était de taille ! C’était un avant-goût du Concile. Jamais, on n’avait vu autant d’évêques à Rome, même pour le Concile Vatican I. N’oublions pas que nous sommes au sortir de la guerre, durant laquelle tous les déplacements avaient été interrompus.
Pourtant bien des catholiques furent surpris par cette proclamation dogmatique. L’Assomption de la Vierge Marie leur semblait un fait acquis, peu ou pas discuté, célébré dans l’église chaque 15 août depuis des siècles. Alors pourquoi définir ce qui semble une « possession tranquille » et n’est remis en cause par personne dans l’Église ?
La définition solennelle de 1950 a été longuement préparée et réfléchie. Elle a d’abord été portée par un courant très puissant de pétitions la réclamant. Depuis 1854 jusqu’à 1950, innombrables ont été les prières, pétitions, suppliques demandant aux pontifes successifs la proclamation du dogme de l’Assomption. Pour la période de 1900 à 1940 seulement on parle de quelques 3000 pétitions regroupant plus de 8 millions de signataires dont 1500 évêques.
.
Pie XII connaît, bien entendu, tous ces éléments et est sensible à cette puissante lame de fond qui parcourt l’opinion catholique. En outre trois raisons fondent pour lui l’opportunité de définir ce dogme précisément en cette année 1950 :
Réjouir l’univers catholique
La première raison est tout à fait fondamentale et de grande portée. Il s’agit de « réjouir l’univers catholique ». Dans tous ces discours le pape Pie XII revient sur cette motivation de sa proclamation dogmatique. Il rappelle les « calamités du temps », les fléaux innombrables qui attristent et ensanglantent le monde. En 1950 nous sortons en effet tout juste de la guerre qui a accablé de malheurs des peuples nombreux qui ont bien besoin de réconfort. Or la définition de l’Assomption sera, à n’en pas douter, « cause d’une très grande joie ». C’est ainsi que « Dieu dans sa munificence se plaît à entremêlé des joies dans les[12] souffrances des peuples ». Ne convient-il pas après la ténébreuse période que le monde vient de vivre, d’entrevoir un peu de ciel bleu. Pour ce faire Pie XII veut « soulever un coin du voile » afin que Notre-Dame de l’Assomption envoie du haut du ciel un rayon de consolation sur ce triste monde.
« Veuille notre très bienveillante Mère, élevée à la gloire céleste, amener à la divine lumière, qui descend du ciel le monde entier, enveloppé encore en beaucoup d’endroits, par les ténèbres de l’erreur, tourmenté de cruels fléaux et angoissé par de graves périls. Puisse-t-elle obtenir à l’humanité les divines consolations qui réconfortent et relèvent l’âme, même au milieu des plus vives souffrances. Qu’elle obtienne de son divin Fils que les nations et les peuples, divisés aujourd’hui entre eux à leur commun détriment, voient enfin resplendir à nouveau la paix. » [13]
Il est bon de nous arrêter quelques instants sur cette motivation de Pie XII : un dogme pour réjouir le monde. Il y a là quelque chose de très nouveau, de novateur et de prophétique. Jusqu’alors, en effet, les dogmes étaient faits essentiellement pour condamner les erreurs qui attentaient à la pureté de la doctrine. La proclamation dogmatique d’une vérité n’était envisagée que lorsque celle-ci était menacée par des opinions erronées. On définissait la vérité et on portait les anathèmes nécessaires contre tous ceux qui la niaient. Or ce n’est pas du tout dans cette perspective que se situe la proclamation de Pie XII. Son but premier n’est pas de condamner, ni même de défendre une vérité qui serait contestée. Son but est « la joie des enfants de Dieu ». Ne faut-il pas voir là comme une nouvelle conception du Magistère qui sera puissamment réaffirmée au Concile Vatican II ? Le Concile non plus n’entendra pas condamner qui que ce soit, mais simplement célébrer et dire la vérité de la foi catholique. Cette nouvelle “positive attitude ” du Magistère n’aurait elle pas sa source chez Pie XII, et tout spécialement dans la proclamation du dogme de l’Assomption ?
Faire pièce au matérialisme
Toutefois si Pie XII n’a pas à condamner une hérésie qui toucherait directement à la vérité de l’Assomption, il veut par sa proclamation dogmatique défendre le peuple catholique contre les idéologies pernicieuses qui en 1950 ne cessent de gagner du terrain. Il s’agit des idéologies matérialistes athées, notamment sous leur forme communiste. Face à ce matérialisme, l’Assomption de la Vierge Marie en corps et en âme, montre que la matière elle-même(le corps), est appelée à être spiritualisée et à partager la vie glorieuse du ciel. Contre le matérialisme et le marxisme galopant de cette époque, le pape veut faire resplendir la splendeur de la vocation humaine et le salut de Dieu offert à tous les hommes et à tout l’homme, corps et âme. Il espère que « la Vierge attirera puissamment à elle tous ceux qui languissent dans l’inertie spirituelle et qui se sont laissés séduire par l’attrait du vice » C’est ce qu’il écrit dans Munificentissimus Deus : « Et il faut également espérer que ceux qui méditent les glorieux exemples de Marie se persuadent de plus en plus de quelle grande valeur est la vie humaine si elle est entièrement vouée à l’accomplissement de la volonté du Père céleste et au bien à procurer à tous les hommes ; que , alors que les inventions du “matérialisme” et la corruption des mœurs qui en découle menace de submerger l’existence de la vertu et, en excitant les guerres, de perdre les vies humaines, sera manifesté le plus clairement possible, en pleine lumière, aux yeux de tous, à quel but sublime sont destinés notre âme et notre corps ; et enfin que la foi en l’Assomption céleste de Marie dans son corps rendra plus ferme notre foi en notre propre résurrection, et la rendra plus active. »[14]
Marie et tous les saints
Réjouir l’univers catholique, faire pièce aux idéologies matérialistes, telles sont bien les deux urgences que ressent le pape Pie XII en ce temps de l’après-guerre. Une occasion favorable pour la proclamation du dogme allait être l’année sainte 1950. Durant toute cette année, c’est avec une « joie indicible »(sic) que le pape a vu afflué place Saint Pierre le peuple catholique. Il veut offrir à tout ce peuple un cadeau pour la clôture de l’année sainte. C’est donc au 1er novembre de cette année 1950 qu’il choisit de promulguer le dogme. La date n’est assurément pas neutre. C’est bien le 1er novembre, fête de la Toussaint, et non le 15 août comme il eût été naturel, que le pape Pie XII proclame l’Assomption de la Vierge. Ce faisant il veut montrer que Marie se range dans la cohorte innombrable des saints. Certes, la Vierge a dans l’église une place suréminente, mais elle est bien dans l’église, comme une créature rachetée par son Seigneur. Cela signifie aussi que son état glorieux est la vocation de tous les saints. Tous, un jour, seront en corps et en âme dans la gloire du ciel comme la Bienheureuse Vierge Marie l’est depuis le terme de son parcours terrestre.
Ici encore le pape Pie XII se montre prophétique. En choisissant la date du 1er novembre il montre comment Marie est bien membre de l’Eglise, il prépare ainsi la doctrine du Concile Vatican II qui insèrera – après bien des débats il est vrai- son enseignement sur la Vierge Marie dans son enseignement sur l’Église[15].
Avant de proclamer le dogme le pape Pie XII entreprend une vaste consultation de tout l’épiscopat. Pour ce faire il envoie à tous les évêques du monde le 1er mai 1946 la lettre Deiparae Virginis Mariae où il demande trois choses à ses “Vénérables frères” :
La réponse des évêques n’allait laisser aucune équivoque : 98,2% des réponses furent positives sur les trois questions : il y a une dévotion à l’Assomption dans notre diocèse, le dogme peut être défini, nous souhaitons qu’il le soit. La cause était entendue. Pie XII pouvait s’appuyer sur un extraordinaire consensus qu’il se plût à rappeler en ces termes : « En un chœur admirable et quasi unanime, arrivèrent du monde entier jusqu’à Nous les voix des pasteurs et des fidèles qui professaient la même foi et demandaient la même chose comme souverainement demandée par tous »[16]
Le 28 octobre 1958 alors qu’on attendait un pape jeune (Pie XII était mort à 82 ans) le conclave élit Angelo Roncalli alors patriarche de Venise homme de 77 ans. Nonce en France de 1944 à 1953, il passait pour un brave Monsignore conservateur mais ne manquant pas d’humour, une caricature de prélat romain, cardinal spaghetti, rond, chanoinesque. « Pape de transition » disait-on. « Une pièce de rechange peut aussi être utile » disait-il.
Angelo Roncalli choisit le nom de Jean, car c’est le nom du disciple bien-aimé qui reçut la Vierge Marie comme sa propre Mère. Et le « miracle Roncalli » se produisit. Ce qui n’avait passé tout d’abord que pour bonhomie italienne, se révéla finesse et charité profonde. Si Pie XI avait imposé le respect, Pie XII l’admiration, Jean XXIII inspira l’amour. Il fut « le bon pape Jean, il papa buono ».
L’annonce du Concile
Le 25 janvier 1959 le Bienheureux Jean XXIII annonça pour la première fois son intention triple :
q Réunir un concile œcuménique
q Réunir un synode pour le diocèse de Rome
q Réviser le code de droit Canonique de 1917
Le Synode romain aura lieu en février 1960. Le code ne sera révisé qu’après le Concile et aboutira à la promulgation du nouveau CIC par Jean-Paul II en 1983. C’est le Concile, bien sûr, qui allait retenir l’attention générale.
Quelle mouche avait donc piqué le vieux pape ? Nous sommes à la fin de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, le jour de la conversion de saint Paul et en la basilique Saint-Paul- hors-les murs. La date et le lieu sont bien sûr symboliques des grands axes du Concile : unité œcuménique de l’Eglise et ouverture au monde (hors les murs).
La proclamation eut lieu pourtant discrètement dans une allocution à portes closes devant des cardinaux « muets de stupeur ».
Jean XXIII dira plus tard que la décision de convoquer le Concile lui est venue « par une soudaine inspiration de Dieu ». Il date même cette inspiration d’une rencontre avec son secrétaire d’état le Cardinal Tardini, le 21 janvier 1959.
Certes Jean XXIII est historien, il a particulièrement travaillé sur le Concile de Trente et surtout sur la Réforme catholique sous l’impulsion de saint Charles Borromée.. Cependant le pape insiste pour voir dans sa décision une inspiration subite : « L’idée n’a pas mûri comme le fruit d’une longue méditation, déclare-t-il le 9 août 1959, mais comme la fleur d’un printemps que je n’attendais pas »
Il faut dire que le Concile Vatican I n’était pas si loin. De 1870 à 1959 il ne s’est écoulé que 89 ans. Moins d’un siècle, c’est très peu à l’échelle de l’histoire de l’Eglise. Le nouveau concile prendrait-il la forme du précédent ? sa suite ?
Le pape imposa au Concile un rythme forcené, pour ne pas dire endiablé…. Le Synode romain fut liquidé. Les mesures du Synode n’avaient rien de très progressistes :
Le concile serait-il aussi réactionnaire que le Synode ? Il fallut attendre le 29 juin 1959 et l’ l’Encyclique Ad Petri Cathedram, pour en savoir un peu plus sur les intentions de Jean XXIII :
Le
but principal du Concile, consistera à promouvoir le développement de la foi
catholique, le renouveau moral de la vie chrétienne des fidèles, l'adaptation
de la discipline ecclésiastique aux besoins et méthodes de notre temps . Ce
sera assurément un admirable spectacle de vérité, d’unité et de charité, dont
la vue sera, Nous en avons la confiance, pour ceux qui sont séparés de ce Siège
Apostolique, une douce invitation à rechercher et à trouver cette unité pour
laquelle Jésus-Christ a adressé à son Père céleste une si ardente prière. (Jean
XXIII, Encyclique Ad Petri Cathedram, 29 juin 1959)
Dans ce petit extrait on lit déjà de grandes harmoniques du Concile :
v Adaptation : c’est déjà le terme de l’aggiornamento qui est sous-jacent.
v Douce invitation : Pas de condamnation. Trente a condamné les erreurs de Luther, Vatican I le rationalisme et le fidéisme. Un Concile du XXème siècle aurait eu beaucoup à condamner : nazisme, communisme, fascisme, matérialisme, mais ce n’était pas le vœu de Jean XXIII.
v Unité : le souci œcuménique si fortement exprimé dès l’annonce du Concile et jusqu’à sa clôture
11 octobre, une date symbolique
Cependant force est de constater que personne ne sait très bien comment va se passer ce Concile et encore moins de quoi il sera question et quels en seront les fruits. C’est pourquoi avant même l’ouverture de l’assemblée conciliaire, au temps du travail souterrain des commissions préparatoires, le bon pape Jean avait confié cette grande entreprise aventureuse à l’intercession de la Vierge Marie, "Mère de la grâce et Patronne céleste du Concile"[17]
D’autant que le climat du monde
ne consonne guère avec l’optimisme naturel de Jean XXIII. C’est l’époque des
guerres de décolonisation, et de la
guerre froide, le 9 octobre 1961 le mur de Berlin est construit… Plus que
jamais il convient d’invoquer la Reine de la paix.
Le 2 février 1962, en la fête de la Purification de Marie, le pape fixa par un Motu proprio[18] l’ouverture du Concile au jeudi 11octobre 1962. La date n’est évidemment pas fortuite. Le 11 octobre était la fête de la Maternité de la Sainte Vierge, fête instituée par Pie XI en 1931, au cœur du mois du Rosaire, pour commémorer le grand Concile d’Ephèse. C’est en effet 1500 ans plus tôt, le 11 octobre 431 que la Vierge Marie fut proclamée solennellement Théotokos, Mère de Dieu, par les Pères du concile d’Ephèse. On sait quelle allégresse en résulta dans tous le monde chrétien d’alors. En bon historien qui connaît bien ces traditions (Jean XIII, rappelons le, fut Nonce en Turquie, où se trouve Ephèse) le pape explique donc le choix de cette date du 11 octobre, demande l’intercession de Celle qui est le "Secours des chrétiens, le Secours des évêques", et implore son assistance maternelle pour un heureux déroulement des travaux conciliaires.
Juste avant l’ouverture du Concile, Jean XXIII va poser un acte bien significatif.
Le 4 octobre 1962, à 6h30 du matin un train part de la gare du Vatican. A son bord le bon pape Jean. Depuis quelques jours celui-ci se sait gravement malade. Une semaine plus tard, doit commencer le grand Concile Vatican II, l’événement le plus considérable du XXème siècle, selon le mot célèbre du Général de Gaulle. Le bon pape Jean a donc bien des intentions à confier à la Vierge Marie pour qui il a toujours manifesté une tendre dévotion, aimant à s’entourer de statues de Madone.
Le train roule en direction de Loreto. A chaque gare une foule en liesse acclame le Souverain Pontife. Il faut dire qu’il y avait près d’un siècle qu’on n’avait pas vu un pape sortir de Rome ! A Lorette Jean XXIII veut méditer sur le mystère de l’Incarnation et la vie cachée du Seigneur. Il vient confier à Marie le prochain Concile sur les lieux où l’on vénère depuis le XIIIème siècle la maison de Nazareth, la « Santa Casa ». Le Mystère de l’Eglise qui fera l’objet de contemplation et d’étude des Pères conciliaires ne s’éclaire-il pas à la lumière de cette Santa Casa ? L’Eglise ne doit-elle pas être la sainte Famille de Dieu ?
En même temps qu’à la Vierge c’est très explicitement à saint Joseph que le Bienheureux Jean XXIII confie les travaux du Concile. Sans doute se souvient-il que le Bienheureux Pie IX, à qui il ressemble par tant de traits - quoiqu’on ait pu dire au moment de leur béatification conjointe- avait déclaré saint Joseph : Patron de l’Eglise universelle. C’était le 8 décembre 1870 dans le cadre du Concile Vatican I. Comme il a veillé sur le Christ, Joseph veille sur ce corps du Christ qu’est l’Eglise. La sollicitude de Joseph pour la sainte Église allait se manifester tout spécialement dans les évènements providentiels qui marquèrent le Concile Vatican II. Le 12 novembre 1962, au début du Concile un évêque se plaignit de ce que saint Joseph était par trop oublié dans l’enseignement de l’Eglise. Il s’attira une indifférence polie et quelques ricanements. Le lendemain le Bienheureux pape Jean XXIII, communiant avec son prédécesseur le Bienheureux Pie IX dans une même dévotion à saint Joseph, annonçait son intention d’introduire le nom de saint Joseph dans l’intangible canon de la messe romaine. Ce fut fait dès le 8 décembre 1962. Le bon pape Jean exprimait par ce geste hautement symbolique ce qu’il n’a jamais caché par ailleurs : il avait dès l’origine placé le Concile Vatican II sous la garde vigilante et bienveillante du Patron de l’Eglise Universelle et de son Epouse Immaculée.
Nul doute que son pèlerinage à Loreto n’ait ce sens. Le même jour, 4 octobre, fête de saint François, le pape se rend à Assise. En visitant le petit pauvre il rappelle ce qu’il avait dit dans un radio message du 11 septembre 1962 : « l’Eglise veut-être l’Eglise de tous et particulièrement l’Eglise des pauvres ». Cette Eglise des pauvres trouve en saint François un modèle admirable et dans l’humble servante du Seigneur, la Vierge du Magnificat, son indépassable icône. Le soir même Jean XXIII est de retour au Vatican. Une semaine après s’ouvre le deuxième Concile du Vatican.
L’ouverture du
Concile
Un évènement considérable que ce
défilé de 2300 mitres dans la basilique Sai,nt Pierre ! Nous sommes
donc le Jeudi 11 octobre 1962 à 8h30 et
le concile débute par une célébration liturgique qui va durer plus de
trois heures. A la fin de la cérémonie Jean XXIII fit un discours dont le titre
même dit le ton plein d’optimisme Gaudet Mater Ecclesia : La Mère Eglise se réjouit ! Le pape y
demande aux Pères de ne pas chercher à réfuter les erreurs mais plutôt
de « présenter la doctrine chrétienne de la façon qui répond aux exigences de notre temps….Plutôt que de condamner l’Eglise préfère répondre aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. »… « Autre est la substance de l’antique dépôt de la foi, autre est la formulation dont elle est revêtue ». Nous retrouvons cette attitude positive du Magistère inaugurée par Pie XII.
Les vœux des Pères
De quoi allait parler le Concile ? Sur quoi allait porter ses travaux ? Dans les consultations antépréparatoires lancées par Rome dès 1959, les futurs Pères Conciliaires avaient formulé des vœux. Parmi eux, 280 évêques avaient demandé une définition de la médiation universelle de Marie, et 45 une définition de sa maternité spirituelle. A l’inverse 61 évêques avaient contesté l’opportunité de telles définitions (cf Sintesi finale f°4). Le sommaire des vota épiscopaux rédigé par le saint Office disait que 350 évêques avaient mentionné les privilèges de Marie (c’est environ 16 % des Pères Concilaires), en particulier sa médiation, alors que 60 pensaient une définition inopportune « propter separatos », à cause des « frères séparés », par souci œcuménique.
Une certaine répartition de géographie mariale est possible. Les demandes de définitions mariales proviennent des églises latines, des jeunes églises d’Afrique ou d’Asie et des Eglises de l’Europe de l’Est, les refus des Eglises de l’Europe du Nord et de l’Ouest
Il faut bien le reconnaître en arrivant au Concile les Pères se présentent comme assez divisés sur la question mariale. Un clivage assez fort existe entre ce qu’on a appelé le courant maximaliste qui réclame une exaltation claire de la Vierge Marie et risque souvent de tomber dans la surenchère, et le courant minimaliste qui ne veut pas qu’on parle trop de la Vierge pour ne pas froisser le monde protestant et risque de tomber dans une froideur desséchante et soupçonneuse à l’égard de Marie. Il y avait « les bolchéviques » et les « menchéviques », ce qui signifie en russe, les gens du plus et les gens du moins[19].
Le Père Congar décrit fort bien les « acrobates de la mariologie majorante » qui n’ont de cesse d’obtenir des définitions dogmatiques nouvelles au sujet de la Mère de Dieu[20]. René Laurentin parle de la dérive de ceux qui en rajoutent sans cesse au sujet de la Vierge et tombe « dans l’illusion de ces mères qui pensent leur bébé d’autant plus beau qu’il est plus gros », jusqu’à admirer « des obésités affligeantes sinon maladives »[21]
A l’inverse certains Pères Conciliaires se montrent si soucieux d’œcuménisme qu’ils sont tentés de passer complètement sous silence des pans entiers de la dévotion populaire et de la Tradition de l’Eglise. Ils sont a priori soupçonneux sur tout discours marial. René Laurentin fit l’expérience de cet ostracisme durant le Concile « J’étais classé “mariologue”, écrit-il, et cette étiquette interdisait de me prendre au sérieux »[22]
En ce qui concerne la Vierge Marie, dans les différents schémas préparatoires, il apparaît que le Concile devra se prononcer sur différents thèmes : le rôle central de la Vierge dans l’œuvre de la rédemption, le culte spécial qui est dû à Marie, sa virginité perpétuelle, avant, pendant et après la naissance de Jésus, sa médiation universelle de grâce.
Un
concile ecclésiologique
Or la « question mariale » n’était évidemment que l’un des aspects d’une question beaucoup plus vaste : de quoi le Concile devait-il parler ? sur quel sujet porteraient ses débats ? la question, à vrai dire, allait mettre bien du temps à être tranchée.. Quand le 8 décembre 1962, jour de l’Immaculée Conception, le pape Jean XXIII clôt le travaux de la première session, rien n’a été décidé, on ne sait guère où l’on va. Les évêques américains interrogent des étranges machines toutes nouvelles, les computers. Réponse des ordinateurs : au train où avancent les choses pour l’examen des schémas le Concile durera 240 ans !
Quelques tendances se sont dégagées tout de même à l’issue de cette première sesssion. D’abord une liberté de ton assez inaccoutumée dans le monde du Vatican. Les Pères conciliaires veulent un vrai débat quitte à secouer un peu la torpeur curiale. Les interventions du Cardinal Liénart ou du Cardinal Frings sont restées célèbres par l’indépendance d’esprit dont elle faisit preuve et qu’elles exigeaient de manière générale pour le Concile
Ensuite il apparaît clairement que Vatican II sera animé d’un véritable souci œcuménique dont la présence dans l’aula conciliaire de frères séparés est à la fois le signe et l’aiguillon.
Enfin le sujet qui semble devoir prévaloir est l’Eglise elle-même. A la fin de la première session le Cardinal Suenens, archevêque de Malines-Bruxelles, appuyé par un certain Cardinal Montini, de Milan, le futur Paul VI, proposa en effet un regroupement de toutes les questions autour d’un axe central : l’Eglise, sa nature, ses structures, sa mission dans le monde. Le Cardinal Lercaro pourra résumer leurs interventions en disant que le thème de ce concile devra être l’Eglise en tant qu’elle est surtout l’Eglise des pauvres[23]. « Eglise, que dis-tu de toi-même ? » Telle est la question que le monde semble poser aux Pères Conciliaires reprenant la question posée à saint Jean-Baptsite dans l’Evangile : quid dicis de teipso, que dis-tu de toi-même ? (Jn 1,22)[24]
A vrai dire l’évènement même du Concile, bien avant les messages et les documents était une partie de la réponse. L’Eglise disait quelque chose d’elle-même par ce grand rassemblement d’évêques de partout réunis dans l’Esprit Saint. L’Eglise se dit elle-même non pas d’abord par des mots mais par des gestes, des attitudes, des comportements. Elle parle « gestis verbisque », en actes et en paroles.
L’Eglise et Marie
Si le Concile doit parler de l’Eglise il doit parler de Marie. En effet l’Eglise apprend ce qu’elle est et ce qu’elle doit être en regardant Marie, son icône eschatologique selon une expression du Père Louis Bouyer. L’Eglise vit de cet authentique « profil marial », de cette dimension mariale que le Concile a merveilleusement synthétisé et qui « est aussi fondamental et caractéristique de l’Eglise que le profil apostolique et pétrinien auquel il est profondément uni »[25]. Benoît XVI pourra dire qu’en Marie nous rencontrons l’essence de l’Eglise[26].
La commission antépréparatoire de Vatican II avait reçu près de six cents vota des évêques demandant que le Concile prit soin de rédiger un document traitant clairement du statut et de la fonction de la Vierge Marie. Le Schéma consacré à la Vierge Marie est distribué aux Pères le 10 novembre 1962, mais il n’est pas discuté pendant la première période conciliaire. Il est séparé du texte sur l’Eglise. Son titre est « De la Vierge Marie, Mère de l’Eglise ». L’expression « Mater Ecclesiae, Mère de l’Eglise» restera un des points de litige au concile, il sera finalement écarté le 23 septembre 1964 par 18 voix contre 8 par la majorité de la commission doctrinale pour manque de fondements théologiques et parce que trop facile à tourner en dérision : si Marie est Mère de l’Eglise notre Mère, il faut conclure que Marie est notre Grand-Mère…Mois de deux mois plus tard, Paul VI proclamait Marie Mère de l’Eglise…
Marie dans l’Eglise ; Marie, Mère de l’Eglise
Le concile Vatican II fut donc un concile ecclésiologique. En tant que tel il lui revenait de définir la place de Marie par rapport à l’Eglise. Or il se présentait à ce sujet des vérités qui pouvaient paraître contradictoires. Il n’était pas douteux, en effet, que Marie fut elle même un membre de l’Eglise. Saint Augustin(U430) avait déjà dit : « L’Eglise est meilleure que la Vierge Marie. Pourquoi ? parce que Marie est une part de l’Eglise (portio ecclesiae), un membre saint, un membre excellent, un membre suréminent mais cependant un membre de tout le corps(…)Or le corps est évidemment plus que le membre. »[27] Fille d’Adam, Marie fait partie du peuple de Dieu. Créature rachetée, elle peut être dite « fille de l’Eglise ». Mais d’un autre côté, Marie semble par son rôle maternel pouvoir revendiquer une place à part, entre Dieu et les hommes : en dessous de Dieu dont elle est la créature, mais au dessus de l’Eglise qu’elle contribue à engendrer à la vie de grâce.
Aussi les Pères conciliaires oscillèrent entre deux opinions :
· Les uns insistaient sur l’appartenance de Marie à l’Eglise, sur la proximité de sa condition avec la nôtre. Pour faire valoir cela, ils souhaitaient donc que le chapitre sur la Bienheureuse Vierge (le De Beata en abrégé latin) fût intégré au texte conciliaire sur l’Eglise (le De Ecclesia)
· Les autres plus soucieux de faire valoir l’éminence de la Mère de Dieu et son statut particulier par rapport à l’Eglise réclamaient au contraire qu’un document particulier fut consacrée à la Bienheureuse Vierge, en dehors du texte sur l’Eglise.
Dans l’Aula conciliaire la question revenait donc très concrètement à savoir si l’on devait consacrer à Marie un document spécifique ou bien intégrer un développement concernant la Vierge à l’intérieur d’un texte plus général sur l’Église. En termes techniques : devait-il y a voir un De Beata(Maria Virgine) séparé, indépendant du De Ecclesia ? Les Pères Conciliaires furent très partagés sur cette question.
Un vote très
serré
Le Cardinal Koenig de Vienne milite pour l’inclusion du De Beata dans le De Ecclesia. Le Cardinal Santos de Manille veut au contraire un texte à part sur la Vierge. Karol Wojtyla, futur pape Jean-Paul II, quant à lui, avec l’ensemble de l’épiscopat polonais est favorable à cette deuxième solution : le Concile doit rédiger un texte spécial sur Marie, sans le rattacher au texte sur l’Église. Au cours de la deuxième session, le 29 octobre 1963, un vote départagea les deux positions. Il fut extrêmement serré : 1114 voix pour l’insertion du De Beata dans le De Ecclesia, 1074 voix contre. Le parti « inclusionniste» l’avait emporté de justesse, mais on ne pouvait pas ne pas tenir compte de la forte minorité « séparatiste » qui s’était exprimée en sens contraire.
Voici comment Jean-Paul II résume dans son audience générale du 13 décembre 1995, le débat conciliaire sur ce sujet :
Certains, soutenaient que seul un Document à part pouvait exprimer la dignité, la prédominance, la sainteté exceptionnelle et le rôle singulier de Marie dans la Rédemption accomplie par son Fils. Plaçant en outre Marie, d'une certaine manière, au-dessus de l'Église, ils craignaient que ce choix d'insérer la doctrine mariale dans le traité sur l'Église ne mette pas suffisamment en évidence les privilèges de Marie, et ramène sa fonction au niveau de celle des autres membres de l'Église. (Acta synodalia, II, III, 338-342).
Au contraire, d'autres se prononçaient en faveur de la proposition de la Commission théologique visant à inclure en un unique Document la doctrine sur Marie et sur l'Église. Selon ces derniers, ces réalités ne pouvaient être séparées dans un Concile qui se proposait de redécouvrir l'identité et la mission du Peuple de Dieu, et qui devait donc montrer leurs liens étroits avec celle qui est le type et l'exemple de l'Église par sa virginité et sa maternité. En effet, en sa qualité de membre éminent de la communauté ecclésiale, la Bienheureuse Vierge occupe une place spéciale dans la doctrine de l'Eglise. De plus, en mettant l'accent sur le lien existant entre Marie et l'Église, on rendait la doctrine mariale proposée par le Concile plus compréhensible pour les chrétiens de la Réforme. (Acta synodalia, II, III, 343-345).
En exprimant des positions doctrinales différentes, les Pères conciliaires, animés d'un même amour pour Marie, tendaient ainsi à privilégier des aspects différents de sa personne. Les uns contemplaient Marie principalement dans sa relation au Christ, les autres la considéraient plutôt comme membre de l'Eglise.(Jean Paul II, audience générale du 13 décembre 1995)
Le De Beata devint donc le huitième et dernier chapitre de la Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium. Or dès le début de ce chapitre VIII, le Concile souligne le caractère d’éminence de la Vierge et sa maternité spirituelle. Il faut citer en entier ce texte fort élaboré :
« La Vierge Marie en effet, qui, lors de l'Annonciation
faite par l'ange, reçut le Verbe de Dieu à la fois dans son coeur et dans son
corps, et présenta au monde la vie, est reconnue et honorée comme la véritable
Mère de Dieu et du Rédempteur. Rachetée de façon éminente en considération des
mérites de son Fils, unie à lui par un lien étroit et indissoluble, elle reçoit
cette immense charge et dignité d'être la Mère du Fils de Dieu, et, par
conséquent, la fille de prédilection du Père et le sanctuaire du Saint-Esprit,
don d'une grâce exceptionnelle qui la met bien loin au-dessus de toutes les
créatures dans le ciel et sur la terre. Mais elle se trouve aussi, comme descendante
d'Adam, réunie à l'ensemble de l'humanité qui a besoin de salut ; bien mieux,
elle est vraiment "Mère des membres du Christ"... ayant coopéré par
sa charité à la naissance dans l'Eglise
des fidèles qui sont les membres de ce Chef"(3). C'est pourquoi encore
elle est saluée comme un membre suréminent et absolument unique de l'Eglise,
modèle et exemplaire admirables pour celle-ci dans la foi et dans la charité,
objet de la part de l'Eglise catholique, instruite par l'Esprit-Saint, d'un
sentiment filial de piété, comme il convient pour une mère très aimante. »[28]
Marie, icône de l’Eglise
Le titre du chapitre VIII de Lumen Gentium est révélateur : La Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le Mystère du Christ et de l’Eglise. Il s’agit de lutter contre une mariologie insulaire qui fait de la Vierge un être à part. Le concile entend situer Marie dans l’Eglise et non en dehors d’elle. Pourtant il ne prétend aucunement nier la place tout à fait privilégiée de la Mère de Dieu. Celle-ci est bien le modèle de l’Eglise, elle y occupe la première place(cf n°63). Comme Marie, l’Eglise est vierge et mère. C’est un thème classique depuis saint Augustin : Marie et l’Eglise partagent la même fécondité virginale ou, si l’on préfère, la même virginité féconde. L’une a donné le Sauveur aux peuples, l’autre donne les peuples au Sauveur. L’une est devenue la Mère de la multitude en enfantant l’Unique, l’autre devient la Mère de l’Unique en enfantant les multitudes. Marie a enfanté virginalement le Sauveur auquel s’agrège tous les peuples. L’Eglise enfante virginalement tous les peuples à l’unité du Corps.[29]. C’est en imitant la Mère de son Seigneur qu’elle conserve dans leur pureté virginale les trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité(cf n°64). La Vierge est une figure de l’Eglise. En elle l’Eglise contemple ce qu’elle est et ce qu’elle doit devenir : vierge, mère, immaculée, glorieuse….[30] En Marie, l’Eglise atteint déjà à la perfection car les vertus de Notre-Dame rayonnent sur toute la communauté(cf n°65). Puisque, selon l’axiome classique, ce qui est premier dans un genre est en quelque sorte la cause de tout ce qui fait partie de ce genre[31], on peut dire déjà en un certain sens que Marie, membre de l’Eglise, en est aussi la cause exemplaire.
Paul
VI
Le Concile n’emploie pas l’expression « Marie, Mère de l’Eglise » mais il est évident qu’il enseigne la substance que ce titre recouvre. Déclarer que la Vierge est la Mère des membres du Christ, qu’elle coopère à la naissance des fidèles, que l’Eglise l’entoure d’un sentiment filial comme pour une mère très aimante (n°53), dire qu’elle est notre Mère dans l’ordre de la grâce(n° 62) c’est manifester que Marie est bel et bien « Mère de l’Église ».[32] Or, curieusement, ce titre « Mère de l’Église » avait été écarté comme trop inhabituel par une commission de théologiens. On lui reprochait d’être peu traditionnel, dangereux pour l’œcuménisme et de pouvoir être exprimé autrement de manière équivalente[33]. Mais le pape Paul VI, tout comme Karol Wojtyla, y était très attaché.
Marie, Mère de l’Eglise
Devenu pape, Paul VI fit clairement connaître ses intentions lors du discours qu’il prononça pour clore la deuxième session du Concile, le 4 décembre 1963 : « Nous espérons enfin que le Concile donnera à la question concernant le schéma sur la Sainte Vierge, la meilleure solution possible : la reconnaissance unanime et fervente de la place absolument privilégiée que la Mère de Dieu occupe dans la sainte Église, objet principal du présent Concile. Marie y occupe, après le Christ, la place la plus élevée et, en même temps, la plus proche de nous, si bien que nous pouvons l’honorer du titre de Mater Ecclesiae (Mère de l’Église) pour sa gloire et notre réconfort. »[34]
Mais c’est un an plus tard, le 21 novembre 1964, en la fête de la présentation de Marie, que Paul VI devait poser l’acte solennel par lequel il proclama « motu proprio »(de sa propre initiative) Marie « Mère de l’Église ». Voici en effet ce qu’il déclara lors du discours de clôture de la 3ème session du Concile :
Nous avons cru opportun de consacrer, dans cette séance publique, un titre en l’honneur de la Vierge, suggéré de divers côté dans le monde catholique et qui Nous est particulièrement cher, parce qu’il synthétise admirablement la place privilégiée reconnue par ce Concile à la Vierge dans la sainte Église.
C’est donc pour sa gloire et pour notre réconfort que Nous proclamons
la Très Sainte Vierge Marie Mère de
l’Eglise, c'est-à-dire de tout le Peuple de Dieu, aussi bien des fidèles
que des pasteurs, que nous l’appelons Mère très aimante ; et Nous
voulons que, dorénavant, avec ce titre si doux, la Vierge soit encore davantage
honorée et invoquée par tout le peuple chrétien. (Paul VI, Discours de Clôture de la IIIème session du Concile, 21
novembre 1964)
En promulguant la Constitution sur l’Eglise (Lumen Gentium) Paul VI montre que le chapitre concernant Marie en est le point d’orgue et il consacre près de la moitié de son discours au seul chapitre VIII de la constitution conciliaire.
C’était pour le pape une manière de faire droit à la forte minorité séparatiste qui avait vu ses espérances déçues. Certes dans la ligne de Pie XII proclamant le dogme de l’Assomption le jour de la Toussaint -- et non comme il eût été logique le jour de l’Assomption-- le Concile avait voulu montrer que Marie fait partie de l’Église, est membre de ce peuple d’élus que son Fils s’est acquis au prix de son sang. On a même dit sous forme de boutade que le Concile avait levé la mystérieuse excommunication qui situait Marie à l’extérieur ou au dessus de l’Église ! Cependant la Vierge n’est pas seulement notre sœur mais aussi notre Mère, la Mère du Christ et la nôtre puisque nous sommes membres de ce Corps du Christ qu’est l’Église. Dans son discours consacrée pour plus de la moitié à la Vierge Marie, Paul VI parle du chapitre VIII de Lumen Gentium comme du point d’orgue de la Constitution sur l’Eglise. Ainsi le De Beata est bien intégré dans le De Ecclesia, comme l’a souhaité la majorité des Pères conciliaires, mais il en est comme « le sommet et le couronnement » selon ce qu’a voulu exprimer la forte minorité séparatiste.
Le pape montre que le titre de Mère de l’Eglise « synthétise admirablement la place privilégiée reconnue par le Concile à la Vierge dans la sainte Eglise»[35]. Cela est d’autant plus étonnant que ce titre n’a rien de très ancien ni de très fréquent dans la tradition catholique et un seul Père avait demandé sa mise en valeur dans les vota de la consultation antépréparatoire, l’évêque de Porto. Mais ce titre était déjà cher au Cardinal Montini puisque sa promotion figurait déjà parmi les suggestions du Cardinal de Milan lors de son unique intervention à la première session du Concile le 5 décembre 1962.
Vatican II et Ephèse
« En vérité, explique Paul VI, ce titre de « Mère de l’Eglise »
appartient à l’authentique substance de la dévotion à Marie, trouvant sa
justification dans la dignité elle-même de la mère du Verbe Incarné. Comme en
fait la maternité divine est le
fondement de sa relation spéciale avec la Christ Jésus, cette maternité
constitue le fondement principal des rapports entre Marie et l’Église, car elle
est mère de celui qui, depuis le premier instant de l’incarnation dans son sen
virginal, s’est uni comme à un chef son corps mystique, qu’est l’Église. Marie
donc, en tant que mère du Christ, est mère aussi de tous les pasteurs et
fidèles, c’est-à-dire de l’Église. »[36]
Ainsi ce n’est pas seulement par compensation, ou pour consoler une partie des Pères conciliaires que le pape Paul VI a tenu à la proclamation solennelle de Marie « Mère de l’Eglise ». C’est parce qu’il fut conscient que le refus de ce titre risquait de rompre l’unité entre le Christ et l’Eglise entre la Tête et le Corps. Le rapprochement avec le Concile d’Ephèse qui proclama Marie « Mère de Dieu » est ici saisissant. Nous avons vu que ce fut pour des motifs christologiques que Ephèse proclama la Théotokos. Il s’agissait de ne pas rompre l’unité des deux natures du Christ, vrai Dieu et vrai homme. En appelant Marie « Mère de Dieu » on garantissait l’indivisible unité des deux natures du Christ que le nestorianisme tendait à séparer. Avant Ephèse le titre de Théotokos avait certes eu cours ici où là mais personne ne s’était vraiment rendu compte de son importance christologique majeure. De même avant le Concile Vatican II le titre « Mère de l’Eglise » avait bien paru sous la plume de quelques auteurs mais on n’avait guère perçu sa portée théologique. Il permettait pourtant de lutter contre une sorte de nestorianisme horizontal permanent qui pousse à séparer le Christ de l’Eglise. « De l’Eglise et du Christ m’est avis que c’est tout un et qu’il n’en faut point faire difficulté » disait sainte Jeanne d’Arc(U1431). L’appellation Marie- Mère de l’Eglise dit la même chose. Le Christ-Tête que la Vierge enfanta ne fait qu’un avec chacun de ses membres. Ce qu’on fait à ces petits qui sont ses frères c’est à Jésus qu’on le fait(cf Mt 25,40). Nul ne peut déchirer l’unité de la Tête et du Corps que Marie enfante.
C’est le pape Paul VI lui-même qui n’hésita pas à rapprocher les deux titres marials « Mère de Dieu » et « Mère de l’Eglise » et les deux conciles d’Ephèse et de Vatican II. Voici comment, peu après le Concile Vatican II, il revient dans son exhortation apostolique Signum Magnum sur les circonstances de la proclamation de Marie Mère de l’Eglise : «Nous gardons encore, vénérables frères, le souvenir très vif de la grande émotion que Nous avons éprouvée lorsque, au terme de la 3e du IIe Concile œcuménique du Vatican, après la promulgation solennelle de la Constitution dogmatique Lumen Gentium. Nous avons proclamé l'auguste Mère de Dieu, Mère spirituelle de l'Église, c'est-à-dire de tous les fidèles et des pasteurs sacrés. Grande fut également la joie aussi bien des très nombreux Pères conciliaires que des fidèles présents à cette cérémonie dans la basilique de saint Pierre, ainsi que de tout le peuple chrétien dans le monde entier. Beaucoup alors évoquèrent spontanément le souvenir du premier triomphe grandiose de l'humble Servante du Seigneur (4), lorsque les Pères de l'Orient et de l'Occident, réunis au Concile œcuménique d'Ephèse, en 431, saluèrent Marie du titre de Theotokos : Mère de Dieu »[37].
Ainsi Nestorius était comme vaincu une seconde fois. La Mère de Dieu l’avait empêché de séparer Dieu et l’Homme. La Mère de l’Eglise l’empêchait de séparer le Christ et l’Eglise. A nouveau Marie apparaissait comme la vraie mère du jugement de Salomon (cf.1 Rois 3, 16-28). Ses entrailles maternelles frémissaient à l’idée qu’on pût couper son enfant en deux. « Le Concile entendait nous dire cela: Marie est tellement liée au grand mystère de l'Eglise qu'elle et l'Eglise sont inséparables, tout comme sont inséparables le Christ et elle. Marie reflète l'Eglise, elle l'anticipe dans sa personne »[38]
Une vérité de foi
Pour Paul VI, il ne fait pas de doute que la maternité spirituelle de la
Vierge soit une vérité de foi. Il l’affirme dans l’Exhortation Apostolique Signum
Magnum(1967). Il montre que la maternité spirituelle de la Vierge à
l’égard des fidèles et de tout le genre
humain est le trait le plus spécifique de l’enseignement marial du Concile.
Comme Ephèse a définit la maternité divine de la Vierge, Vatican II a définit
sa maternité spirituelle. Ces deux maternités sont évidemment liées et ne font
que présenter en quelque sorte les deux faces d’un même dessein de salut :
c’est par la maternité que Dieu est devenu le Fils de l’homme et c’est par la
maternité que l’homme devient le fils de Dieu. « Il en est en
effet de la Vierge Marie comme de toute mère humaine, enseigne Paul VI :
sa tache ne se limite pas à donner la vie elle doit aussi nourrir et élever son
enfant. Après avoir participé au sacrifice rédempteur de son Fils, et d'une
manière si intime qu'elle mérita d'être proclamée par Lui Mère non seulement de
l'apôtre Jean, mais "- qu'il soit permis de l'affirmer - du genre humain
en quelque sorte représenté par lui, elle continue maintenant, au ciel, à
remplir son rôle maternel en coopérant à la naissance et au développement de la
vie divine dans chacune des âmes des hommes rachetés. C'est une vérité très
consolante qui, par une libre disposition du Dieu très sage, fait partie
intégrante du mystère du salut des hommes; elle doit donc être objet de foi
pour tous les chrétiens »[39]
Un cadre marial
Paul VI explique que si les Pères du Concile sont entrés dans l’aula Conciliaire comme les apôtres au Cénacle avec Marie, Mère de Jésus, ils en ressortent, après la nouvelle Pentecôte du Concile, comme les apôtres eux-mêmes avec Marie, Mère de l’Eglise.
Le 21 novembre 1964, la déclaration
de Paul VI suscita les applaudissements des Pères conciliaires. Le jeune
théologien Joseph Ratzinger fut le témoin de cette scène de liesse qu’il
raconta plus tard une fois devenu pape à son tour : « Dans ma mémoire, explique-t-il, demeure inscrit de manière indélébile le
moment où, en entendant ses paroles: "Mariam
Sanctissimam declaramus Matrem Ecclesiae" - "Nous déclarons la
Très Sainte Vierge Marie Mère de l'Eglise", les Pères se levèrent
spontanément de leurs chaises et applaudirent debout, rendant hommage à la Mère
de Dieu, à notre Mère, à la Mère de l'Eglise. De fait, à travers ce titre, le
Pape résumait la doctrine mariale du Concile et donnait la clef pour sa
compréhension. Marie n'a pas seulement un rapport singulier avec le Christ, le
Fils de Dieu qui, comme homme, a voulu devenir son fils. Etant totalement unie
au Christ, elle nous appartient également totalement »[40].
Benoît XVI rappelle que la Vierge Marie ne fut pas seulement présente,
durant le Concile et dans les documents du concile, mais que c’est à elle que
Paul VI très explicitement a confié de suivre la réalisation du concile :
Aujourd'hui, ma pensée se
tourne vers le 8 décembre 1965, lorsque le serviteur de Dieu Paul VI conclut de
façon solennelle le Concile œcuménique Vatican II, l'événement ecclésial le
plus important du XXe siècle, que le bienheureux Jean XXIII avait lancé trois
ans plus tôt. En présence de nombreux fidèles dans la joie, place Saint-Pierre,
Paul VI confia la réalisation des documents conciliaires à la Vierge Marie,
l'invoquant sous le doux titre de Mère de l'Eglise. En présidant ce matin une
célébration eucharistique solennelle dans la Basilique Vaticane, j'ai voulu
rendre grâce à Dieu pour le don du Concile Vatican II. J'ai voulu en outre
rendre grâces à la Très Sainte Vierge Marie pour avoir accompagné ces quarante
ans de vie ecclésiale riches de nombreux événements. De façon particulière,
Marie a veillé avec un soin maternel sur le pontificat de mes vénérés
prédécesseurs, chacun desquels, avec une grande sagesse pastorale, a guidé la
barque de Pierre sur le chemin de l'authentique renouveau conciliaire, en
œuvrant sans cesse en vue de l'interprétation fidèle et de la réalisation du
Concile Vatican II.(Benoît XVI, angélus du 8 décembre 2005)
Ainsi de Jean XXIII qui se fait pèlerin de Lorette pour confier à la Vierge l’événement Conciliaire à François qui institue la mémoire liturgique de Marie, Mère de l’Eglise, le lundi de Pentecôte, en passant par Benoît XVI qui explique que Marie veille sur la réalisation du Concile, Paul VI qui chante la Mère de l’Eglise et Jean-Paul II qui montre le « bond prodigieux que le Concile a fait faire à la doctrine et la dévotion mariale »[41], on ne peut que constater l’unanimité pontificale à honorer le « cadre marial du Concile ». Vatican II, on doit le dire, demeurera toujours inintelligible à ceux qui ne prennent pas en considération cette présence maternelle de la Vierge à l’évènement conciliaire.
[1] Jean XXIII, Constitution apostolique Humanae salutis, 25 décembre 1961
[2] Acta synodalia, I, I, 254
[3] Décret de la Congrégation pour le culte divin, 11 février 2018.
[4] Voir Benoît XVI, discours à la curie romaine, 22 décembre 2005, cf Lettre Apostolique « Motu Proprio data » Porta Fidei, 11 octobre 2011, n°5
[5] Des documents comme Inter Mirifica (sur les moyens de communication sociale) étaient pratiquement caducs dès qu’ils sont parus….
[6] Cf. Pie IX réponse à la Reine d’Espagne Isabelle II (1864)
[7] Lumen Gentium n°8 qui cite Pie XII
[8] « D’autre part, il ne faut pas nier ni mettre en doute que les
fidèles possèdent un certain sacerdoce, et il n’est pas permis d’en faire peu
de cas ni de le minimiser.»(Pie
XII, allocution aux cardinaux et évêques, 2 novembre 1954) cf LG n° 10
[9] Le plan de l’encyclique est le suivant :
Introduction : l’Eglise
méconnue et les erreurs à redresser
1° L’Eglise corps
mystique du Christ
2° l’Union des fidèles avec
le Christ
3° Exhortation pastorale
à aimer l’Eglise
Conclusion sur la Vierge
Marie
[10] Cf. encyclique Ad Coeli Reginam. C’est durant l’année mariale qu’il a décrété à l’occasion du centenaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception (1854) que Pie XII institua cette fête de Marie-Reine.
[11] Sans oublier le centenaire du dogme de l’Immaculée Conception (1954) et celui des apparitions de Lourdes (1958) un an avant l’annonce de l’ouverture du Concile !
[12] Cf. la première phrase de la Constitution apostolique Munificentissimus Deus
[13] Pie XII, Allocution au
Consistoire, 30 octobre 1950
[14] Pie XII,
Constitution apostolique « Munificentissimus Deus », 1er
novembre 1950
[15] Voir la communication La Mariologie de Jean Paul II, p.
[16] Pie XII, Allocution au Consistoire, 30 octobre 1950
[17] Lettre apostolique Celebrandi Concilii oecumenici, 11 avril 1961
[18] Motu proprio Concilium : AAS 54 [1962], 67-68).
[19] René Laurentin, La question mariale, Seuil, 1963, p.67
[20] « Il faut tenir compte de la situation générale de la mariologie dans des parties notables de l’Eglise catholique, sinon partout. C’est une situation de surenchère. De très puissants groupes tendent expressément à en "rajouter" encore, et de telle manière que les ajouts de demain ne soient qu’une étape pour de nouveaux ajouts après-demain. Il est à craindre qu’un texte conciliaire de haute autorité, même s’il n’est pas de fide, ne servent de tremplin aux acrobates de la mariologie majorante et maximaliste, même si le texte lui-même n’est pas maximaliste(celui-ci ne l’est pas dans l’ensemble) et que ces acrobates n’utilisent diverses expressions pour en tenir plus et pousser plus loin » (Y Congar, remarques sur le schéma De Beata Maria Virgine préprées pour Mgr Weber, cité in Guiseppe Alberigo, Histoire du concile Vatican II, I, p290)
[21] René Laurentin, La question mariale, Seuil, 1963, p.19
[22] René Laurentin, ibid., p.10
[23] « J’insiste avant tout sur tout ce qui a été dit par les
éminentissimes cardinaux Suenens et Montini : le but de ce concile,
l’ordre et la réduction des sujets traités, et surtout la nécessité d’élaborer
une doctrine sur l’Eglise. On recherche une doctrine sur l’Eglise capable
d’aller jusqu’aux fondements, au-delà des traits d’ordre juridique auxquels les
schémas semblent s’être attachés le plu souvent. La conclusion de cette session
semble être la suivante : deux mois de travail et de recherche humble,
libre et fraternelle, avec l’aide de l’Esprit Saint, nous ont amenés à mieux
comprendre, tous ensemble, ce que le Concile du Vatican II se doit de proposer
aux hommes de ce temps, à savoir le mystère intime de l’Eglise, qui est comme
le grand sacrement du Christ, Verbe de dieu, se révélant, habitant, vivant et
travaillant parmi les hommes.(…)
Si en vérité l’Eglise, comme on l’a dit maintes fois est le thème de ce concile, on peut affirmer en pleine conformité avec l’éternelle vérité de l’Evangile, et tout à la fois en parfait accord avec la conjoncture présente : le thème de ce concile est bien l’Eglise en tant qu’elle est surtout “l’Eglise des pauvres”. » ( intervention du Cardinal Lercaro, 7 décembre 1962)
[24] Cf intervention de Mgr Huyghe, évêque d’Arras, le 3 décembre 1962
[25] Jean-Paul II, Discours à la Curie, 22 décembre 1987.
[26] « L’ aspect "pétrinien" de l'Eglise est inclus dans
l'aspect "marial". En Marie, l'Immaculée, nous rencontrons l'essence
de l'Eglise d'une manière qui n'est pas déformée. Nous devons apprendre d'elle
à devenir nous-mêmes des "âmes ecclésiales", comme s'exprimaient les
Pères »(Benoît XVI, homélie du 8 décembre 2005)
[27] Saint Augustin, sermon Denis 25, n°7 ; cf Ruppert de Deutz : « Maria, portio maxima, portio optima, portio praecipua, portio electissima ecclesiae »(In Ap. I, VII, c.12) ; cf H.de Lubac Méditation sur l’Eglise ch.7 Ecclesia Mater p.389 note 70.
[28] Lumen Gentium n°53. La dernière expression comme il convient pour une mère très aimante vient de Benoit XIV.
[29] Sur ce thème augustinien cf Saint Augustin De sancta
virginitate c.2 et 6 ; Enchiridion c.34 ; sermon 191 n°2 ;
sermon 213, n°7 ; Episola 34 n°3 etc….
[30] On donne aussi
cette autre loi : "là où Marie se différencie du Christ c'est pour
ressembler à l'Eglise : elle est féminine, rachetée, elle vit dans la foi,
immortelle".
[31] Cf Saint Thomas, Somme Théologique IIIa q56 a1.
[32] Cf. Jean-Paul II, Audience générale du 17 septembre
1997
[33] Notons que certains adressent les mêmes reproches
aujourd’hui au titre de Corédemptrice…
[34] Paul VI, discours de clôture de la deuxième session, 4 décembre 1963
[35] Paul VI, Discours de Clôture de la IIIème session du Concile, 21 novembre 1964 en la fête de la Présentation de Marie au Temple.
[36] Paul VI, Discours de Clôture de la IIIème session du Concile, 21 novembre 1964 en la fête de la Présentation de Marie au Temple.
[37] Paul VI exhortation apostolique Signum Magnum (1967) introduction
[38] Benoît XVI, homélie du 8 décembre 2005
[39] ibid. 1ère partie n°1
[40] Benoît XVI, Homélie du 8 décembre 2005
[41] Jean Paul II, Entrez dans l’Espérance,1994,
p. 319