Journée AOM 2016
Paris 21 janvier 2016
Cœur de Jésus, Cœur de
Marie, Cœur de Miséricorde
Bonjour
à toutes et à tous. Merci de me donner la possibilité de participer à vos
journées et de contribuer à votre travail par un petit éclairage qui sera enraciné
dans la spiritualité eudiste. Je remercie le frère Louis-Marie de son
invitation. J’espère qu’il y en aura d’autres, même si … je vais faire ce que
j’avais dit que je ne ferais pas : je ne vais pas respecter le titre de la
conférence ! Mais comme je ne veux pas perdre un frère, je vais juste
changer l’ordre. Il y aura donc bien trois parties dans mon propos. Voilà je ne
vais perdre personne. Je vais faire une permutation des deux premiers
termes : le Cœur de Marie en premier (après tout pour une société mariale,
c’est peut-être naturel), le Cœur de Jésus ensuite et le Cœur de Miséricorde à
la fin. Pour chacune de ces étapes, je vous propose un moment de
contemplation : contemplation des fruits de la Mission, contemplation de
l’incarnation de l’amour du Père, et contemplation d’un appel qui nous est
adressé.
1-
Contemplation du Cœur de Marie par les fruits de la Mission
Pourquoi
changer l’ordre des termes qui sont dans le titre ? Par fidélité à
l’itinéraire spirituel de saint Jean Eudes qui va nous guider pendant cette
intervention. Jean Eudes, canonisé comme « père, docteur et apôtre du culte liturgique des Cœurs de Jésus et de
Marie », a commencé par instituer en 1648 la fête du Cœur de Marie.
Le
8/2/1648, SJE est en mission à Autun. La mission dure depuis onze semaines,
depuis le 1er dimanche de l’Avent. Une mission ce n’est pas que la
prédication, ou la célébration des sacrements. Pour permettre un vrai renouveau
de la vie chrétienne, les missionnaires posent aussi des actes. Quand arrive
Noël, l’évêque, qui avait demandé la mission, sollicite sa prolongation. Il constate
les effets des visites faites aux isolées, ou celle effectuées auprès des
malades dans les hôpitaux. Il mesure le bien fondé des messes célébrées à la
prison. Après un mois supplémentaire, des faits concrets apparaissent :
les relais se prennent. Il est décidé de raser l’hôpital, si insalubre, pour
pouvoir accueillir plus largement et mieux les indigents et les malades.
Dorénavant, une messe sera célébrée tous les dimanches à la prison, un prêtre
reçoit mission pour cela. L’évêque lui-même est touché et change son train de
vie : il met en vente l’évêché pour en reconstruire un plus modeste. Avec
la différence d’argent entre la vente et la construction, il contribue au
financement des travaux du nouvel hôpital ! Au terme de la mission et
devant de tels fruits, SJE prend la décision de rendre grâce. Il met alors la
dernière main à la création d’une nouvelle fête. Et le 8 février (cycle
marial : 8/12, 8/2, 8/9), l’évêque d’Autun célèbre pour la première fois
l’office et la messe du Cœur de Marie.
Pourquoi
une telle fête ? SJE veut donner à contempler l’action de Dieu dans le
Cœur de Marie pour affirmer que la même action est possible dans tous les cœurs
humains. C’est bien ce qui vient de se passer à Autun. Prêtons attention à
cette dynamique. Saint Luc nous rapporte comment le Cœur de Marie a été touché
pour entrer dans la Volonté de Dieu. Le cœur de l’homme peut aussi mettre en
œuvre la prière de Pater Noster : « que ta volonté soit faite ». Le oui du Cœur de Marie permet au
salut d’advenir. Toute personne peut dire oui au salut et contribuer à son
avènement : « que ton règne
vienne ». En célébrant le Cœur de Marie, Jean Eudes veut surtout
célébrer son élan d’amour vers Dieu en réponse à l’amour de Dieu vers l’homme.
Ce qui a été vécu dans le Cœur de Marie est possible dans tout cœur humain.
Puisqu’il
s’agit d’instituer un culte, Jean Eudes compose une liturgie complète pour
cette nouvelle solennité. Je ne peux pas reprendre tous les éléments de ces
offices. Je m’arrête juste sur le choix de l’évangile pour l’Eucharistie. Il
s’agit de Lc 2,41-51 : c’est l’épisode du premier pèlerinage au Temple
quand Jésus a douze ans. Pourquoi ce choix ? Il y bien des raisons. J’en
retiens quelques-unes. Nous voyons dans cette péricope l’amour humain et
maternel de Marie (un cœur en émoi de la perte de son enfant). C’est un cœur
comme le nôtre. Nous voyons aussi l’appartenance de Marie à une communauté de
foi (avec la mention des amis et connaissances, tous en pèlerinage). Et encore,
c’est un cœur qui prie, qui est en relation avec Dieu (Marie médite les
événements de la vie de Jésus dans son cœur). A travers ce choix, vous voyez
que SJE met l’accent sur un cœur comme le nôtre, siège de joies (recouvrement) et
de peines (perte), siège aussi d’une relation avec Dieu. Cette triple dimension
qui s’accomplit dans le Cœur de Marie peut s’accomplir dans le nôtre.
Alors
arrêtons un peu plus sur ce qui se passe dans ce Cœur de Marie pour voir
comment cela se déverse dans le nôtre. Il y a plusieurs textes où SJE évoque le
Cœur de Marie comme une fontaine, ou encore, comme une cascade. Il y a un enjeu
de communication d’une expérience vers nous. Pour Jean Eudes, par son Cœur,
Marie est une source inépuisable de joies pour nous, joies spirituelles mais
aussi joies simples de la vie qu’elle a partagée avec son Fils. « Elle peut bien être la cause de la joie de
tous les enfants de Dieu. En effet, elle est la cause et la source de toutes
les véritables joies du ciel et de la terre, des hommes et des Anges. […] De là vient qu’elle est appelée par saint
Jean Damascène : une mer inépuisable de joie » (OC V, 345)[1].
Mais
notre fondateur poursuit sans angélisme. Marie est aussi communion aux
souffrances des hommes. « Jamais
personne en la terre n’a souffert, après son Fils Jésus, des douleurs si
sensibles qu’elle a endurées » (OC V, 345)[2]. Aussi
le père Eudes va jusqu’à dire que « Marie
meurt d’aimer » : agir enraciné dans l’amour du Christ, dans les
actions les plus simples, c’est communier « au martyre de la Mère d’amour » (OC I, 291). Développant cela,
Jean Eudes s’appuie sur les paroles de Marie à sainte Brigitte : « La douleur de mon Fils était ma douleur,
parce que son Cœur était mon Cœur » (OC VII, 142)[3].
Cette
contemplation du Cœur de Marie, dans ses joies et ses souffrances, nous conduit
à accueillir pour nous-mêmes le renouvellement de notre capacité d’aimer. Le
Seigneur donne à chacun cette aptitude, comme il l’a offerte en partage à la
Vierge Marie. Ainsi le Cœur de Marie devient notre règle de vie, « cette règle de vie qui vous fera saints, si
vous la gardez fidèlement » (OC VIII, 146).
« Ce Cœur admirable est l’image parfaite du
très divin Cœur de Jésus ; c’est l’exemplaire et le modèle de nos cœurs,
et tout le bonheur, la perfection et la gloire de nos cœurs, consiste à faire
en sorte que ce soient autant d’images vivantes du sacré Cœur de Marie, comme
ce saint Cœur est le portrait accompli du Cœur adorable de Jésus. C’est
pourquoi c’est une chose très utile et très bonne d’exhorter les chrétiens à la
dévotion du Cœur très auguste de la Reine du ciel. Car, comme la souveraine
dévotion est d’imiter ce que nous honorons, dit saint Augustin[4] :
qui ne voit qu’en exhortant les fidèles à
la dévotion du très aimable Cœur de la Mère de Dieu, c’est les exhorter à
imiter les vertus très éminentes dont il est orné, à graver son image dans
leurs cœurs, et à se rendre dignes enfants d’une telle Mère ? » (OC VIII, 109).
« Ô que voici de belles paroles de saint
Bernard sur ce sujet ! Marie, dit-il, s’est faite tout à tous. Sa très
abondante charité l’a rendue redevable à toutes sortes de personnes. Elle a
ouvert le sein de sa miséricorde et son Cœur libéral à tous, afin que tous
reçoivent sa plénitude ; que le captif en reçoive sa rédemption ; le
malade sa guérison ; le triste et l’affligé, leur consolation ; le
pécheur son pardon ; le juste, augmentation de grâce ; l’Ange,
accroissement de joie ; le Fils de Dieu la substance de la chair
humaine ; enfin, toute la Sainte Trinité, gloire et louange
éternelles : qu’ainsi l’amour et la charité de son Cœur se fasse ressentir
et au Créateur et à toutes les créatures » (OC VI, 196).
On le
voit, si SJE a de si long développement sur le Cœur de Marie, c’est pour
exprimer comment le nôtre peut être touché et peut participer de la même
expérience divine. De manière très moderne, le père Eudes parle du Cœur de
Marie comme du prototype de tout cœur croyant.
« Ce Cœur admirable est l’exemplaire
et le modèle de nos cœurs, et la perfection consiste à faire en sorte qu’ils
soient autant d’images vives du saint Cœur de Marie ».
(OC
VIII p. 431, Lectionnaire 52)
Allant
plus loin encore, SJE parle de Marie comme du prototype du chrétien ! Cela
se comprend puisque le Cœur de Marie est le modèle, le prototype de notre cœur.
C’est là toute l’importance de Marie. Dans le Cœur de Marie, nous puisons le
grand encouragement qu’un cœur humain puisse aimer de la sorte. A la suite de
Marie, à son école, laissons-nous habiter par l’amour de Dieu, comme elle a su
le faire par son FIAT et la fidélité
à ce oui.
Revenons
à la liturgie que SJE met en place. Nous pouvons lire dans l’antienne
d’ouverture à la fête du Cœur de Marie : « Jésus règne dans le cœur de Marie, venez adorons-le, c’est lui notre
amour et notre vie ». Pour SJE, et dès 1648, le Cœur de Jésus et le
Cœur de Marie ne font qu’un. Que ce soit par la profusion de la joie ou la
communion à la souffrance, Jean Eudes spécifie bien que ce Cœur de Marie est le
« tabernacle de Dieu », le
« trône du Fils de Dieu »
(OC VI, 141).
Dès son
premier livre, La vie et le royaume de Jésus dans les âmes chrétiennes (1637),
le père Eudes écrivait :
« Nous ne devons pas séparer ce
que Dieu a uni si parfaitement. Jésus et Marie sont si étroitement liés
ensemble, que qui voit Jésus voit Marie, qui aime Jésus aime Marie. Celui-là
n’est pas vraiment chrétien qui n’a pas de dévotion à la Mère de Jésus-Christ
et de tous les chrétiens. […] Il nous faut regarder et adorer
son Fils en elle, et n’y regarder et adorer que lui. Car c’est ainsi qu’elle
veut être honorée, parce que d’elle-même et par elle-même, elle n’est
rien : son Fils est tout en elle ».
(OC I 337, Lectionnaire 50)
Du fait
de l’union de la Mère et du Fils, le Cœur de Marie et celui de Jésus ne font
qu’un. Dès lors, en enfant de Dieu, ayant Marie pour Mère, nous avons toujours à
chercher à imiter « ce Cœur, roi de
nos cœurs » (OC VI, 359 et VIII, 139). Alors je ne peux pas rester à
sonder plus longtemps le Cœur de Marie sans venir au Cœur de Jésus.
2-
Contemplation du Cœur de Jésus incarnation de l’amour du
Père
Nous
avons vu comment le contexte et les événements de la vie étaient importants
pour la progression spirituelle de SJE. Je relève avec prudence une coïncidence
étonnante. Fin XVI°, des chirurgiens anglais découvrent la circulation
sanguine. La chirurgie vasculaire nait. Elle arrive en France par la Normandie,
le pays de SJE. Plus tard, le plus jeune des frères de SJE, Charles Eudes
d’Houay sera un des premiers médecins français de la chirurgie vasculaire. Nous
ne pouvons pas aller plus loin sans contraindre la vérité historique. Notons
simplement ce contexte. Retenons qu’au temps de SJE le cœur humain est devenu
central dans la vie humaine. N’oublions pas également que le père Eudes a été
traumatisé enfant, il avait huit ans, par l’assassinat du roi Henri IV, tué d’un
coup de poignard dans le cœur. Et c’est donc dans ce contexte de prise de
conscience de la dimension vitale du muscle cardiaque pour la vie humaine, que
SJE met le cœur au centre de la vie de Dieu.
SJE est
sensible à toutes les situations de détresse, les « indéfendus »
comme il aime les désigner : pestiférés, femmes prostituées, révoltés
« va-nu-pieds » en prison, tous les incarcérés. Pour tous, il sent
l’importance de manifester l’amour de Dieu, sa proximité, sa relation, son
alliance. C’est à cette expression de la tendresse divine que Jean Eudes
associe la notion de Cœur de Dieu, Cœur de Jésus comme manifestation,
incarnation de l’amour du Père.
Le cœur
est indispensable à la vie corporelle. En prenant l’image du cœur, SJE montre
que notre vie ne peut exister sans la plénitude de l’amour de Dieu. Et cet
amour s’est manifesté en Jésus-Christ. C’est vital. C’est le Christ qui est la
vie, vie qu’il nous donne en partage par amour, par expression de l’amour du
Père. Le Christ est le Cœur de Dieu incarné.
Vous
savez que la spiritualité de l’Ecole Française est christique[5]
et fondée sur l’Incarnation. Dès lors, toute vie à un prix inestimable puisque
Dieu a partagé la condition humaine. Toute personne est sauvée par le Christ.
Vous avez noté que le vocable eudiste est « cœur de Jésus » et non
« Sacré Cœur ». SJE nous invite à contempler l’amour incarné, l’amour
proche, l’amour accessible du Père dans le Fils et pour tous ses enfants. Ce
n’est pas d’abord un amour divin ou sacré. Ce n’est pas plus selon certaines
représentations d’un Christ dépoitraillé, un cœur signe d’un amour seulement
humain ou seulement physique. C’est un amour accessible à tout homme. Au
bénéfice de tout homme, l’amour de Dieu est dans le Cœur de Jésus, Dieu fait
homme.
« « Je vous aime, dit Jésus »
(Jn 15, 9). Pesons bien ces paroles. Si un prince ou un roi de la terre prenait
la peine de se transporter en la maison du dernier de ses sujets pour lui dire:
«Je viens ici exprès pour vous assurer que je vous aime, et que je vous ferai
sentir les effets de mon affection», quelle joie pour ce pauvre homme! Voici
infiniment davantage, voici le Roi des rois, le Saint des saints, le Fils
unique de Dieu, le Fils unique de Marie, qui est descendu du ciel exprès, et
qui est venu ici-bas pour nous dire: Je vous aime. Moi qui suis le Créateur de
toutes choses, moi qui gouverne tout l'univers, moi qui possède tous les
trésors du ciel et de la terre, moi qui
fais tout ce que je veux, et à la volonté duquel personne ne peut résister, je
vous aime.»
OC VIII, 275
Vous le
voyez, l’inspiration de Jean Eudes est johannique. Mais il ne part pas du récit
de cœur transpercé par la lance (Jn 19,34-37). Pour notre maître spirituel, ce
qui compte dans l’image du Cœur, c’est la relation entre le disciple et le
Sauveur : « Il y
avait à table, appuyé contre Jésus, l’un de ses disciples, celui que Jésus
aimait » (Jn 13,23). Un disciple que Jésus aimait, un
disciple appuyé contre Jésus, appuyé sur sa poitrine, appuyé sur son cœur.
Voilà le double mouvement : un disciple que Jésus aime, un disciple qui
peut entendre la Parole de Jésus et, en même temps, les battements de son cœur.
Un cœur qui bat par amour pour ce disciple, pour tous les disciples.
Pour bien
comprendre le fond de la démarche, continuons d’explorer l’évangile de Jean, et
regardons comment il nous enseigne la communion du Cœur de Jésus et du Cœur de
Marie. Vous le savez bien, cela nous renvoie à deux passages : Cana et la
Croix.
Au chapitre
2, ce sont les noces de Cana. Jésus et Marie sont là, ensemble, encore et
toujours. Regardons Marie. Elle se préoccupe de la situation, elle est charité
pour les mariés. Son cœur s’emballe. Et se faisant, elle ne met pas le
projecteur sur elle, mais sur son Fils : « faites tout ce qu’il
vous dira » (Jn 2,5). C’est le mouvement décrit par SJE : un
amour qui unit Jésus et Marie, qui est ouvert sur l’amour pour tous les hommes,
qui permet qu’ils rencontrent le Christ et soit touchés par le débordement de
l’amour du Christ.
Et cette dynamique
culmine à la Croix. Jésus et Marie sont là, ensemble, encore et toujours.
« Jésus dit à sa Mère : « femme voici ton fils ». Puis
il dit au disciple : « voici ta mère ». (Jn 19, 26-27). Tout est dit. Tout est vécu.
L’amour culmine dans ce don. Jésus est donné, donné par amour. Marie aussi. De
Mère du Christ, elle devient Mère des hommes. Son amour pour son Fils devient
amour pour nous. Le Cœur de Marie, c’est le cœur de la Mère du Christ qui aime
de la même manière tous les hommes, avec un cœur de Mère, le cœur de la Mère de
toute l’humanité. Et elle puise cet amour dans le Cœur de son Fils, dans
l’union au Cœur de Jésus. Encore une fois, c’est l’enjeu d’une communication. Avec
un Cœur uni au Cœur de son Fils, Marie est remplie de l’amour par Dieu. Ce qui
s’expérimente dans ce cœur féminin est communicable à tous les cœurs humains.
Alors comme
nous avons cherché à voir ce qui se passe dans le Cœur de Marie, communion de
joie et de souffrance, nous pouvons scruter l’activité dans le Cœur de Jésus. Pour
nous y aider, accueillons une petite remarque iconographique : comment
reconnaît-on une statue ou un portrait de SJE ? C’est un prêtre en
soutane, ça va avec son époque et évoque qu’il est formateur de prêtres. Et ce
prêtre porte à la main un cœur. Ce n’est pas son cœur qui lui aurait été
arraché comme pour représenter un martyr. Approchons-nous. Ce cœur est surmonté
d’une croix. C’est le Cœur de Jésus. Approchons-nous encore. Ce cœur n’est pas
transpercé, n’est pas ensanglanté. Il est surmonté de flammes. C’est « une
fournaise d’amour » dit SJE. Ecoutons-le :
« Le Coeur de notre Sauveur est un
foyer ardent d'amour au regard de nous: d'amour purifiant, d'amour illuminant,
d'amour sanctifiant, d'amour
transformant, et d'amour déifiant. D'amour purifiant, dans lequel les cœurs sont
purifiés plus parfaitement que l'or dans le feu. D'amour illuminant, qui
dissipe les ténèbres de l'enfer dont la terre est couverte, et qui nous fait
entrer dans les lumières admirables du ciel: Il nous a appelés des ténèbres à son
admirable lumière (1 P 2,9). D'amour sanctifiant, qui détruit le péché dans nos
âmes, pour y établir le règne de la grâce. D'amour transformant, qui transforme
les serpents en colombes, les loups en agneaux, les bêtes en anges, les enfants
du diable en enfants de Dieu, les enfants de colère et de malédiction en enfants de grâce et de bénédiction. D'amour déifiant,
qui fait les hommes dieux, les rendant participants de la sainteté de Dieu, de
sa miséricorde, de sa patience, de sa bonté, de son amour, de sa charité et de
ses autres divines perfections : participants de la nature divine (2 P 1, 4)
Le Coeur de Jésus est
un feu qui répand ses flammes de tous côtés, dans le ciel, sur la terre, et par
tout l'univers; feux et flammes qui embrasent les cœurs des Séraphins, et qui
embraseraient tous les cœurs de la terre, si les glaces du péché ne s'y opposaient.
Il a un amour
extraordinaire pour les hommes, tant pour les bons et pour ses amis, que pour
les méchants et pour ses ennemis: pour lesquels il a une charité si ardente,
que tous les torrents des eaux de leurs péchés ne sont pas capables de
l'éteindre: les grandes eaux n'ont pu éteindre l'amour (Ct 8, 7).
Feux sacrés du Coeur
de mon Sauveur, venez fondre sur mon cœur et sur les cœurs de tous mes frères ».
OC VIII, 350
Avec ce
texte de SJE, nous sommes à mi-parcours et au cœur de la démarche. Nous avons
vu que le Cœur de Marie nous encourageait à contempler l’élan d’amour qui
déborde dans et de notre cœur. Nous avons pris conscience que le Cœur de Marie
n’aimait pas du fait d’une force intérieure mais de sa communion au Cœur de
Jésus. Et nous voici à la source, le cœur de Jésus comme fournaise d’amour est
celui qui nous communique la force d’aimer, comme cela s’est opéré en Marie.
Notre contemplation du Cœur de Jésus et Marie est pour nous ouvrir à scruter
l’action de Dieu dans notre cœur et le déploiement d’amour que le Père nous
communique en son Fils.
Cette image
du Cœur de Jésus comme une fournaise d’amour nous offre une synthèse de la
vision eudiste du Cœur de Jésus. Contempler le Cœur dit le quoi de la mission
du Christ : il est venu révéler l’amour de Dieu (« que le monde
sache que tu m’as envoyé et que je les ai aimés comme tu m’as aimé »
Jn 17,23). Et le Cœur de Jésus nous dit aussi le comment de la mission du
Christ : c’est une révélation en aimant, en accomplissant le don total
(« il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux
qu’on aime » Jn 15,13).
Rappelons-nous
que nous sommes au XVII° siècle. Le feu, comme le cœur, dit la vie. Pour
désigner une maison, on parle du foyer. Pour compter une population d’un bourg,
on parle du nombre d’âtres. Mais aussi, le feu est un péril car il peut se
propager. Audacieusement, Jean Eudes emploie positivement cette image de la
propagation. La fournaise de l’amour du Cœur de Jésus s’est déployée dans le
Cœur de Marie qui est au même titre une fournaise d’amour, une fournaise du
même amour. Ce n’est pas une autre fournaise. C’est la même fournaise
bienveillante, bienfaisante, par communication. Il n’y a pas de distinction
possible. C’est le même amour qui les habite et les embrase. Je ne vous lis que quelques extraits de ce
texte enflammé (vous aurez l’intégrale dans le texte qui vous sera
diffusé) :
Que
le Coeur de la Mère de belle dilection
est
une Fournaise d'amour et de charité.
Premier point.
Considérez et honorez
le très aimable Coeur de la Mère du Sauveur comme une fournaise d'amour vers
Dieu. C'est une fournaise d'amour, parce que le péché, l'amour du monde et
l'amour-propre n'y ayant jamais eu de part, il a toujours été tout rempli et
tout embrasé des feux sacrés de l'amour divin. C'est une fournaise d'amour,
parce que ce saint Coeur n'a jamais rien aimé que Dieu seul, et ce que Dieu
voulait qu'il aimât en lui et pour lui. C'est une fournaise d'amour, parce que
la bienheureuse Vierge a toujours aimé Dieu de tout son cœur, de toute son âme
et de toutes ses forces; et qu'elle n'a jamais rien fait que par amour vers
Dieu, et par un très pur amour, n'ayant jamais eu d'autre intention en tout ce
qu'elle pensait, disait et souffrait, que de plaire à Dieu; et faisant toutes
choses Corde magno et animo volenti, d'un grand cœur et avec toute la
perfection qui lui était possible, pour plaire davantage à sa divine Majesté.
C'est une fournaise
d'amour, parce que, non seulement elle a toujours voulu tout ce que Dieu
voulait, et n'a jamais rien voulu de ce qu'il ne voulait pas; mais encore parce
qu'elle a toujours mis tout son contentement et toute sa joie en la très
aimable volonté de Dieu.
C'est une fournaise
d'amour tellement embrasée, que tous les torrents et les déluges des eaux de
toutes les souffrances indicibles qu'elle a portées, n'ont pas été capables non
seulement d'éteindre, mais de ralentir tant soit peu les flammes très ardentes
de cette fournaise.
C'est une fournaise
d'amour, dans laquelle le Saint-Esprit, qui est tout feu et tout amour, ayant
allumé son divin feu dès le premier instant auquel ce Coeur virginal a commencé
de vivre, il n'a jamais cessé de l'enflammer et de l'embraser de plus en plus,
de moment en moment, jusqu'au dernier soupir de la vie de cette Mère d'amour. O
feux et flammes sacrées de cette sainte fournaise, venez fondre sur nos cœurs.
Second point.
Considérez que ce
même Coeur de la Mère de belle dilection est une fournaise d'amour, dans
laquelle le Fils unique de Dieu et le Fils unique de Marie, qui est le feu et
l'amour essentiel, et qui s'appelle dans ses Écritures: Ignis
consumens (Dt 4,24) : «un feu consumant », a toujours fait sa demeure
et l'y fera éternellement. Jugez quels feux, quelles flammes, quels
embrasements il a portés dans ce Coeur de sa divine Mère, dans lequel il n'a
trouvé aucun obstacle à ses desseins. Certainement
ce Fils bien-aimé de Marie est dans le Coeur de sa très divine Mère, comme
une fournaise immense d'amour divin dans une autre fournaise tout embrasée du
même amour: fournaise qui porte ses flammes jusqu'aux cœurs des Séraphins, pour
les enflammer de plus en plus; et même
jusqu'au Coeur du Père céleste, qui est son Fils bien-aimé qu'elle lui ravit, le
tirant de son sein paternel, et
l'attirant dans le sein virginal de Marie.
O sainte fournaise, bienheureux ceux qui
s'approchent de vos sacrés feux! plus heureux ceux qui sont embrasés de vos
célestes flammes ! très heureux ceux qui se plongent, qui se perdent et qui se
consument dans vos divins brasiers ! O fournaise d'amour, répandez vos flammes
par tout l'univers, afin que les désirs de mon Sauveur s'accomplissent, qui a
dit, qu'il est venu en la terre pour y mettre le feu, et qui ne désire autre
chose, sinon qu'il embrase les cœurs de tous les hommes («Ignem veni
mittere in terram, et quid volo, nisi ut accendatur ? » Luc 12,49).
Quiconque veut brûler de ce feu, qu'il travaille à éteindre en soi le feu de
l'amour du monde et de soi-même; et qu'il s'étudie à n'aimer que Dieu, à
l'aimer de tout son cœur, à faire toutes ses actions et à les bien faire pour
son amour, à n'avoir point d'autre intention en toutes choses que de lui
plaire, et à mettre toute sa joie, pour l'amour de lui, en sa divine volonté et
dans toutes les croix qui lui arrivent. O Mère d'amour, faites par vos prières
que ces choses s'accomplissent en nous.
(Troisième point)
Considérez et honorez
le sacré Coeur de la Mère de Jésus, comme une fournaise de charité vers les hommes.
C'est une fournaise de charité, dans laquelle
il n'est jamais entré aucune pensée ni sentiment contraire à la charité. C'est
une fournaise de charité si ardente, même vers ses plus grands ennemis, qu'elle
a sacrifié pour eux son Fils unique et bien-aimé, et à l'heure même qu'ils le
massacraient cruellement, et qu'ils transperçaient son Coeur maternel de mille
glaives de douleur.
C'est une fournaise
de charité vers ses enfants bien-aimés, qu'elle aime si ardemment, que si
l'amour de tous les pères et de toutes les mères qui ont été, sont et seront,
était assemblé et réuni dans un seul cœur, à peine serait-ce une étincelle de cette
ardente fournaise d'amour qui embrase le Coeur de notre divine Mère.
C'est une fournaise
si ardente de charité et de zèle pour le salut de toutes les âmes, qu'elle
aurait de bon cœur souffert tous les tourments de l'enfer, lorsqu'elle était en
ce monde, pour aider à en sauver une seule. Car, si Moïse et saint Paul, sainte
Catherine de Sienne et plusieurs autres saintes âmes ont été dans cette
disposition, combien d'avantage la Reine de tous les Saints, qui elle seule a
plus de charité pour les âmes que tous les Saints ensemble 1!
Rendez grâces au Fils
de Marie, d'avoir ainsi enflammé son Coeur du feu de la divine charité qui embrase
le sien au regard de nous. Remerciez cette très charitable Vierge de tous les
effets de sa charité envers le genre humain. Entrez dans le désir d'imiter
autant que vous pourrez la charité de votre très bonne Mère. Examinez-vous sur
les fautes que vous y avez faites par le passé, pour vous en humilier et en
demander pardon à Dieu, lui offrant le très aimable Coeur de la bienheureuse
Vierge en réparation. Offrez aussi votre cœur à cette même Vierge, et la
suppliez d'y détruire tout ce qui est contraire à la charité, et d'y graver une
image parfaite de sa charité vers ses amis et vers toutes les âmes.
OC
VIII, 139-142
Ainsi la
fournaise du Cœur de Jésus qui se répand en Marie peut tout autant se répandre
en nous. Alors, ce Cœur embrasé de Jésus dit aussi notre participation à la
Mission du Christ : nous reconnaître aimés de Dieu et l’annoncer en
aimant. C’est ce que nous allons sonder dans la dernière partie en contemplant
le Cœur de Miséricorde.
3- Contemplation du Cœur de
Miséricorde, appel à une réponse en actes
C’est
en 1648, comme nous l’avons vu, que saint Jean Eudes a institué la fête du Cœur
de Marie. Je ne l’ai pas encore mentionné, c’est le 20 octobre 1672 que, pour
la première fois, Jean Eudes a célébré la messe de la fête du Cœur de Jésus. Mais
dès 1641, il avait rédigé la célèbre salutation au Cœur de Jésus et Marie[6] :
Ave, Cor
sanctissimum Ave, Cor
mitissimum Ave, Cor
humillimum Ave, Cor purissimu Ave, Cor
devotissimum Ave, Cor
sapientissimum Ave, Cor
patientissimum Ave, Cor
obedientissimum Ave, Cor
vigilantissimum Ave, Cor
fidelissimum Ave, Cor
beatissimum Ave, Cor
misericordissimum Ave, Cor amantissimum Jesu et Mariae Te adoramus, te laudamus, te glorificamus, tibi gratias
agimus Te
amamus ex toto corde nostro, ex tota anima nostra et ex totis viribus nostris
Tibicor nostrum offerimus, donamus, consecramus, immolamus; Accipe et posside illud totum et purifica et illumina et sanctifica; ut in ipso vivas et regnes et nunc |
Nous te saluons, Cœur très saint, Nous te saluons, Cœur très doux Nous te saluons, Cœur très pur, Nous te saluons, Cœur très sage, Nous te saluons,
Cœur très obéissant, Nous te saluons, Cœur très fidèle, Nous te saluons, Cœur plein de
miséricorde, Nous te saluons, Cœur
très aimant de Jésus et Marie,
Nous t'adorons, Nous te glorifions, Nous t'aimons,
De toute notre âme,
Nous t'offrons notre cœur,
Nous te le consacrons,
Reçois-le, possède-le tout entier,
Éclaire-le,
En lui, vis et règne, maintenant,
toujours et à jamais. AMEN |
Cette
version que je viens de lire est en fait celle de 1653. La version originale
comportait 12 versets de salutations. En 1653, Jean Eudes en a ajouté une
treizième. Que s’est-il passé ? Comme vous le savez, la fondation des
Eudistes correspond à la fondation du premier séminaire de Caen, le 25 mars
1643. Aussitôt Jean Eudes se lance dans la construction d’une institution. Coup
de frein brutal, crise de confiance avec l’évêque de Bayeux, le 29 novembre
1650, le culte est interdit dans la chapelle du séminaire. Il faut attendre le
10 mai 1653 pour que le nouvel évêque restitue toute sa légitimité à notre
fondateur et que la chapelle du séminaire puisse rouvrir. Cette joie est si
intense, que Jean Eudes en signe d’action de grâce, mais surtout de
reconnaissance que c’est la Miséricorde de Dieu qui a été à l’œuvre, et pas
celle de l’évêque, qu’il fait ajouter la mention « Cor misericordissimum » à la prière litanique de salutation du Cœur de Jésus[7]. Le
père Eudes contemple la Miséricorde de Dieu dans la manifestation de son amour.
C’est dans cette chapelle que SJE présidera la première fête liturgique du Cœur
de Jésus, Cor misericordissimum.
Parmi bien d’autres, une autre expérience a fait méditer
dans la durée l’apôtre de la dévotion aux Cœurs sur la Miséricorde de Dieu.
Suite à une dénonciation calomnieuse insinuant que pour Jean Eudes l’autorité
du Pape serait supérieure à celle du Roi de France, Louis XIV bannit le prêtre
normand le 8 septembre 1673. Le 14 avril suivant, il est même assigné à ne plus
sortir de Caen. Il a fallu bien des tractations, des prières et de la
persévérance pour faire lever cette sanction. Cela intervient six ans plus
tard, le 17 juin 1679. Ecoutons la manière dont Jean Eudes nous en rend
compte :
« J'ai souffert
une grande affliction, par une calomnie très fausse qu'on avait mise dans
l'esprit du Roi contre moi, m'accusant d'avoir présenté une supplique à Notre
Saint-Père le Pape, pour lui demander permission de lui faire obéissance etiam
in iis quae dubium movere possunt, qui est une chose à laquelle je n'ai jamais
pensé. Cependant, on avait fait passer cela comme un crime dans l'esprit du
Roi, ce qui tendait à faire détruire notre Congrégation. Mais la divine Bonté y
a mis empêchement par l'entremise de la sainte Vierge, en cette façon: Ayant
fait vœu à Dieu de dédier une des principales chapelles de notre église de Caen
en l'honneur de sa Conception Immaculée, trois jours après, j'ai reçu une lettre
de Mgr Claude Auvry,
ancien Évêque de Coutances, qui m'écrivait à Caen de la part de Mgr
l'Archevêque de Paris, que le Roi avait perdu la mauvaise impression qu'on lui
avait donnée contre moi, et que je vinsse à Paris pour en remercier Sa Majesté.
Ce qu'ayant fait, Mgr de Paris m'ayant présenté au Roi, je lui parlai de cette
façon: «Sire, me voici aux pieds de Votre Majesté, pour lui rendre mes très
humbles grâces de la bonté qu'elle a de souffrir que j'aie l'honneur et la
consolation de la voir encore une fois avant que je meure, pour, lui protester
qu'il n'y a point d'homme au monde qui ait plus de zèle et d'ardeur pour son
service et pour ses intérêts que j'en ai. C'est dans ce sentiment que je désire
employer et consumer le peu de jours qui me restent, à vivre. Je vous supplie
aussi très humblement, Sire, de nous honorer de votre royale protection, et de
nous continuer l'honneur de vos grâces et de vos faveurs. C'est ce que j'espère de cette merveilleuse
bonté qui ravit et qui réjouit les cœurs
de ceux qui ont l'honneur de parler à Votre Royale Majesté, dont il ne s'en
retourne aucun qui ne soit comblé de joie et de consolation.»
La réponse du Roi.
Le Roi, ayant entendu ces choses avec bien de l'attention
et avec un visage plein de bonté, me parla en cette manière: «Je suis bien aise
de vous voir, je suis bien persuadé des grands biens que vous faites en mon
Royaume. Continuez à travailler comme vous faites. Je serai bien aise de vous
voir encore, et je vous servirai et protégerai dans toutes les occasions qui
s'en présenteront.».
Voilà les paroles du Roi qui se remplirent d'une
satisfaction indicible. C'est ainsi,
donc, qu'après une désolation de six ans, le Père des miséricordes et le Dieu
de consolation a voulu essuyer mes larmes, et changer mes angoisses très amères
en des joies incroyables, dont il soit béni et loué éternellement. Grâces
aussi et louanges immortelles à la Mère de grâce et de bénédiction, par les
mains de laquelle passent tous les biens que la divine Bonté nous envoie.
Mémorial des bienfaits de Dieu, n°102, OC
XII p. 123-124
Nous
pouvons noter que SJE ne salue pas la bonté du Roi, mais il reconnaît que c’est
un acte du « Père des miséricordes ». Encore une fois, nous voyons
combien SJE puise dans les événements de sa vie l’approfondissement de sa spiritualité.
Il fait personnellement l’expérience de l’amour de Dieu. Peu à peu, il en devient
l’apôtre dans le culte du Cœur de Jésus et Marie, un cœur uni qui exprime la
miséricorde de Dieu pour tous. Chacun
quand il est touché par cette expression de l’amour du Père, en devient le
porteur et le propagateur.
Mais
revenons à la salutation de l’Ave Cor.
Regardez combien ce Cœur n’est pas étranger à l’homme. Il appelle notre
relation, notre union. C’est toute la finale de la prière :
Nous t'offrons notre
cœur,
nous te le donnons,
nous te le consacrons, nous te le sacrifions,
reçois-le, possède-le
tout entier, purifie-le, éclaire-le, sanctifie-le,
En lui, vis et règne,
maintenant, toujours et à jamais. AMEN
En nous
faisant contempler le Cœur de Jésus et Marie, Jean Eudes nous conduit à nous
donner, à nous laisser habiter par cet amour infini. Cette miséricorde du Père est
manifestée dans le Fils. Par Marie, la miséricorde s’est révélée accessible dans
un cœur pleinement humain. C’est le temps de la propagation du feu de l’amour
divin. Comme Marie, comme Jean Eudes, nous faisons l’expérience de la
miséricorde divine pour en vivre et en rayonner. A nouveau, je laisse Jean
Eudes développer ce point :
Ô mon Dieu, vous êtes
infiniment digne d'être aimé, loué et glorifié; nous avons une infinité
d'obligations de vous aimer et glorifier; mais parce que nous n'avons point de cœur
ni d'esprit qui soit ni digne ni capable de nous acquitter de ces obligations,
votre sagesse incompréhensible nous a trouvé, et votre bonté immense nous a
donné un moyen admirable pour y satisfaire pleinement et parfaitement: c'est
que vous nous avez donné l'Esprit et le Coeur de votre Fils, qui est votre
propre Esprit et votre propre Coeur, et vous nous l'avez donné pour être notre
propre esprit et notre propre cœur, selon la promesse que vous nous en aviez
faite par la bouche de votre Prophète, en ces paroles : « Je vous
donnerai un cœur nouveau, et je
mettrai un esprit nouveau au milieu de vous » (Ez 36 2
6 ) . […]Il n'y a que l'Esprit et le Coeur de Dieu qui soient dignes d'aimer et
louer Dieu, et qui soient capables de le bénir et aimer autant qu'il le doit
être. Voilà pourquoi, mon Seigneur, vous nous avez donné votre Coeur, qui est
le Coeur de votre Fils Jésus, comme aussi le Coeur de sa divine Mère, qui tous
ensemble ne sont qu'un seul cœur.
Vous qui lisez ces
choses, mettez ceci dans votre esprit
que ce Coeur vous a été donné, afin que vous serviez et honoriez Dieu,
et que vous fassiez sa volonté avec un grand cœur et un grand amour (2 M 1,3).
Pour cet effet,
renoncez à votre propre cœur, c'est-à-dire
à votre propre esprit, à votre propre volonté et à
votre amour-propre; et donnez-vous à Jésus, pour entrer dans l'immensité de son
grand Coeur, qui contient le Coeur de sa sainte Mère, et pour vous perdre dans
cet abîme d'amour, de charité, de miséricorde, d'humilité de pureté, de
patience, de soumission et de sainteté.
Ne vous contentez pas
d'aimer Dieu avec votre cœur humain: cela est
trop peu de chose, cela n'est
rien. Mais aimez-le Corde magno et animo volenti, aimez-le en tout
l'amour de votre grand Coeur. Quand on vous demandera si vous l'aimez, dites:
«Oui, je le veux aimer, et de tout mon
grand Coeur, et je me donne à lui pour cela.» Si vous aimez votre prochain et
que vous ayez quelque action de charité à faire, aimez-le et faites pour lui tout
ce que vous devez, en la charité de votre grand Coeur. S'il faut
souffrir quelque chose, que ce soit en son esprit d'humilité, de patience, de
soumission et d'amour. Si vous avez à faire quelque obligation, donation ou
sacrifice à Dieu, de vous-même ou de quelque autre chose, que ce soit en
l'esprit d'amour et de zèle de votre
grand Coeur. Quand vous direz ces saintes paroles: Je vous louerai, Seigneur,
de tout mon Coeur (Ps 110,1), que votre intention soit de parler de votre grand
Coeur. Enfin, quoi que vous fassiez, faites toutes choses dans l'esprit et dans
les dispositions de votre grand Coeur, en renonçant au vôtre et en vous donnant
à Jésus pour agir dans l'esprit qui anime le sien.
OC VI p.
261-265
Vous
voyez bien la logique dans son entier maintenant. Notre cœur est indigne de
Dieu, voir incapable d’aimer. Mais en Marie, c’est l’inverse qui a été
manifesté. Et dans la mort et la résurrection de son Fils, le Père a communiqué
cette possibilité d’embrasement à tous les cœurs humains. C’est
l’accomplissement de la prophétie d’Ezéchiel : « je vous donnerai un cœur nouveau ». Ce Cœur nouveau, c’est le
Cœur de Jésus auquel nous pouvons nous unir. Dès lors nous pourrons « aimer comme il nous a aimé ».
La
Miséricorde de Dieu qui nous rejoint par le Cœur de Jésus nous entraine à aimer
jusque-là : elle se donne à nous, pour nous donner les moyens d’aimer et
de nous donner à Dieu. Dans le temps imparti, je n’ai pu évoquer que Jean Eudes
puise à la source scripturaire de Jean, mais il le fait aussi en Paul. Juste un
appui paulinien au stade où nous en sommes :
04 Dieu est riche en miséricorde ;
à cause du grand amour dont il nous a aimés,
05 nous qui étions des morts par
suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ : c’est
bien par grâce que vous êtes sauvés.
06 Avec lui, il nous a
ressuscités et il nous a fait siéger aux cieux, dans le Christ Jésus.
07 Il a voulu ainsi montrer, au
long des âges futurs, la richesse surabondante
de sa grâce, par sa bonté pour nous dans
le Christ Jésus.
08 C’est bien par la grâce que vous
êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. (Ep 2,4-8)
Comment
allons-nous répondre à ce don de Dieu ? Comment allons-nous répondre à la
miséricorde du Père ? C’est là que la finale de l’Ave Cor prend un relief nouveau : « nous te donnons notre cœur ». Nous l’avons reçu de toi. Tu
nous l’as donné. Nous te le donnons. Habite-le. Donne-nous la capacité de
manifester comme toi la miséricorde du Père.
Et là
encore SJE est très concret. Il nous appelle à passer à l’acte. SJE anticipe un
auteur contemporain qui remet la miséricorde au gout du jour pour qu’elle soit
vécue par l’homme en réponse à la Miséricorde de Dieu. Voici un texte de Jean
Eudes de 1642, il est extrait du catéchisme que notre fondateur a écrit pour
les missions en paroisse :
« Q. ‑‑
Combien y a‑t‑il d'œuvres de miséricorde corporelles ?
R. ‑‑ Sept: 1.
Donner à manger à ceux qui ont faim; 2. Donner à boire à ceux qui ont soif; 3.
Revêtir les nue; 4. Racheter les prisonniers; 5. Visiter les malades; 6. Loger
les pèlerins et étrangers; 7. Ensevelir les morts.
Q. ‑‑ Combien y a‑t‑il
d'œuvres de miséricorde spirituelles ?
R. ‑‑ Sept: 1.
Donner bon conseil; 2. Enseigner les ignorants: 3. Corriger les défaillants; 4.
Consoler les affligés; 5. Pardonner les offenses; 6. Supporter les défauts
d'autrui; 7. Prier pour les vivants et les trépassés.
Q. ‑‑À qui est‑ce
d'exercer toutes ces bonnes œuvres corporelles et spirituelles ?
R. ‑‑ C'est
l'office et le métier principal, et ce doit être l'exercice ordinaire de tous
les chrétiens, de quelque condition qu'ils soient.
Q. ‑‑ Est‑ce
assez de faire ces bonnes œuvres‑là ?
R. ‑‑ Non, mais il les faut
bien faire, c'est‑à‑dire pour plaire à Dieu, pour son pur amour et
pour sa seule gloire. » OC II p. 432
(je
vous laisse comparer ce texte avec le n°15 de la bulle Misericordiae vultus)
Le message est simple. Il faut passer à
l’action. Mais pour cela nous devons vivre embrasés du Cœur de Jésus, comme
Marie. C’est ainsi que nous pourrons vivre du Cœur de Jésus qui manifeste la
Miséricorde du Père. Dès lors, nous pouvons entrer en contemplation de
tous les embrasements de ce Cœur de Jésus. Il faut le suivre sur les routes,
les sentiers, les plages. Il faut l’accompagner dans les villes et dans les
barques. C’est alors que nous le trouvons toujours en relations, toujours en
amour offert, toujours en miséricorde partagée. Nous pouvons en prendre de la
graine. A nous de suivre l’exemple du Christ. Dans la prière nous pouvons le
contempler, découvrir ses attitudes, les élans de son cœur, ses sentiments et
ses engagements. Dans la vie quotidienne, il nous revient de suivre son
exemple. Je suis à la maison, que je me souvienne du Christ qui accueille à sa
table, même celle que Simon ne veut pas voir chez lui (Lc 7,26ss). Je suis à
l’église, que je porte le même regard profond que Jésus qui est le seul dans le
Temple à prêter attention à cette veuve (Lc 21,2). Je suis en voyage, que j’aie
la même intelligence des situations que Jésus à la porte du village de Naïm (Lc
7,11ss). Je suis embarqué dans une rencontre inattendue, que j’aie le même élan
missionnaire que Jésus au puits de Jacob (Jn 4,5ss). Je suis dépassé par une
situation, que j’ai la même sérénité que Jésus sur le cousin à l’arrière de la
barque (Lc 8,22ss). Je peine à bâtir un pardon, que je m’appuie sur la parole
de Jésus qui me dit « va et désormais ne pèche plus » (Jn 8,6;11),
parole tremplin pour ma démarche. Je suis rejeté à cause de ma foi, ou mon
engament n’est pas compris, que je continue ma route à la suite de Jésus
passant au milieu d’eux (Lc 4,16ss). Je suis en prière, que je fasse place au
Christ qui sort pour prier (Mc 1,35). A nous de prolonger et de développer la
liste pour remarquer comment je peux puiser une attitude, une posture à la
suite du Christ, exemple pour notre quotidien. Alors je me mets à continuer sa
vie. Comme Marie, je me laisse embraser par le Cœur de Jésus.
La Miséricorde
de Dieu se manifeste de manière concrète dans la vie de tout un chacun. Il nous
revient donc de devenir manifestant de cette miséricorde reçue.
Envoi
en mission : « missionnaires de la Miséricorde »
« Manifestants
de la miséricorde », autant dire comme le Pape François et saint Jean
Eudes : « missionnaires de la Miséricorde » :
« Nous sommes les
Missionnaires de la divine miséricorde, envoyés par le Père des miséricordes
pour distribuer les trésors de sa miséricorde aux misérables, c'est-à-dire aux
pécheurs, et pour traiter avec eux avec un esprit de miséricorde, de compassion
et de douceur ».
OC X p.398 lettre XX
– (cf. n° 18 de la bulle du Pape François).
Arrivés
au terme de notre parcours, je voudrais nous adresser un avertissement pour
être de bons, mais aussi de justes, « missionnaires de la
miséricorde ». Et pour cela, je vais vous livrer une dernière expérience
de saint Jean Eudes. En 1627, il y a la peste à Argentan, le pays de naissance
du saint. Il est alors en mission à Paris et demande la permission d’aller
soutenir les pestiférés de son pays d’origine. Voilà bien un acte de
miséricorde corporelle. Mais se faisant, Jean Eudes veut démontrer qu’il n’y va
pas pour lui, ni pour en tirer gloire, ni pour mettre sa vie en danger. Il y va
pour le Christ et par le Christ. Et pour que ce soit explicite de tous, le
voilà qui installe dans une boite en fer blanc autour de son cou, le Saint
Sacrement (mesurez bien l’audace pour l’époque où pour porter le viatique, il
fallait un surplis, des servants pour porter cierge et cloche, et présenter le
Saint-Sacrement à deux mains !). Jean Eudes acteur de la Miséricorde
s’efface. C’est le Grand Cœur du Christ qu’il manifeste. Il est porteur de ce
Cœur dans le sien et dans l’Eucharistie. Il met l’Eucharistie en avant pour
manifester que c’est la Miséricorde du Père dans la présence du Fils qui visite
les pestiférés. Voilà comment nos actes de miséricorde doivent renvoyer à
l’unique Miséricorde, celle du Cœur de Dieu.
Marie
nous donne à contempler son cœur envahi de l’amour de celui de son Fils. Jésus
est le visage incarné de la Miséricorde du Père offerte à tous. Le Cœur de
Jésus communique au Cœur de Marie l’embrasement de l’amour de Dieu. C’est ainsi
qu’ils sont un Cœur uni. Nous pouvons nous aussi vivre de cette union au Cœur
de Jésus en nous laissant prendre dans le feu de l’amour miséricordieux du
Père. Laissons nos cœurs devenir transparents de la Miséricorde. Alors nous
serons étincelles qui embraseront le monde de la Miséricorde de Dieu.
31 Que dire de plus ? Si Dieu est pour nous, qui
sera contre nous ?
32 Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a
livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous
donner tout ?
33 Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? Dieu
est celui qui rend juste :
34 alors, qui pourra condamner ? Le Christ Jésus
est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il
intercède pour nous :
35 alors, qui pourra nous séparer de l’amour du
Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la
faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ?
36 En effet, il est écrit : C’est pour toi qu’on
nous massacre sans arrêt, qu’on nous traite en brebis d’abattoir.
37 Mais, en tout cela nous sommes les grands
vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés.
38 J’en ai la certitude : ni la mort ni
la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir,
ni les Puissances,
39 ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre
créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le
Christ Jésus notre Seigneur. (Rm
8,31-39)
Laurent Tournier, eudiste
[1] Sur les joies de Marie, il est possible de relire les belles pages du tome VII : la transcription de la prière de sainte Mecthilde (p. 375-ss), et les sept joies de Marie au ciel selon la description de saint Thomas de Cantorbéry (p. 384-ss). Dans le tome VIII, on trouvera le commentaire du Magnificat, pages 17-ss.
[2] Voir l’évocation des sept glaives de douleur
transperçant le Cœur de Marie, OC V, 346.
[3] Jean Eudes décrit plus en détails dans OC VIII, 223-ss les douleurs de la Vierge Marie au moment de la Passion.
[4] Saint Augustin, La cité de Dieu, livre VIII, chapitre 17.
[5] Certains disent :
« christocentrique »
[6] Remarquer en passant que
dès 1641 (et donc bien avant 1648) Jean Eudes compose cette prière qui est
adressée au seul cœur de Jésus et Marie
[7] Certains biographes
posent également qu’en 1641, Jean Eudes n’a pas encore mis en œuvre les
fondations. Mais dès qu’il va être entrainé dans cette aventure (novembre 1641
(les sœurs), mars 1643 (les pères), et aussi 1648 pour la société du Cœur
Admirable, les laïcs), il perçoit tous ces instituts comme
œuvres de miséricorde, mus par le
« zèle pour la salut des âmes » pour toutes les femmes, tous les hommes.